1839-07-13, de Pierre-Joseph Proudhon à Monsieur Maurice.

Mon cher ex-collègue, s'il vous revient 8,280 fr. 50 sur les 12,000 francs, c'est donc 4,140 fr. 25 que je vous dois; plus 1,778 francs aux enfants L***, = 5,918 fr. 25; plus 4,000 fr. à M. Viancin = 9,918 fr. 28. Je suppose que ce que je vous redois, sur les comptes de la liquidation, puisse être en partie couvert par ce qui me revient sur les impressions, c'est donc 20,000 francs à peu près dont je suis débiteur. J'ai pour cela une valeur qui vaut à peine 5,000 francs, dont je n'aurai pas touché un centime, et je vais prendre mes mesures pour faire comme Marquiset, vous payer, et être tranquille. Il m'est plus facile de payer, chaque année, 2 à 300 francs d'intérêts, que d'être rongé d'ennuis perpétuels. Il en résulte que mes affaires ne sont pas en meilleur état, que mes autres travaux en souffrent, que ma santé en est affectée et mon esprit malade. J'ai donné congé à Huguenet et Dessirier ; j'ai averti Mme L***; si je pouvais vendre à M. Bailly, ce serait une bonne affaire. Sinon, je vais tout enfermer sous clef, dans quelque remise, et j'attendrai qu'une occasion favorable se présente pour recommencer à travailler. Cependant, je me déferai d'une partie de mes vieux caractères pour satisfaire à mes premiers engagements envers vous ; et ainsi du reste, jusqu'à ce qu'il ne me reste qu'une presse et une demidouzaine de casses, avec quoi je compte bien travailler de nouveau. Je vous préviens de tout ceci, en vous priant de n'en point trop parler; je ferai mon possible pour que vous ne perdiez rien, je vous en donne ma parole. Vieux cesse de m'écrire ; je ne sais ce qu'il devient, et je crois qu'il n'y a pas lieu pour lui, présentement, à compter sur les promesses de ses proches. N'allez pas croire, au moins, que le parti que je vais prendre, soit le fait d'un désespéré : pas le moins du monde. Je cède là où il faut, et je me concentre dans l'objet auquel je dois m'attacher exclusivement aujourd'hui ; après, nous verrons. J'espère toujours que le temps viendra où je pourrai à mon tour imposer la loi aux autres : et tout roseau qui plie n'est pas rompu pour cela.

Je vous remercie des 30 francs que vous m'avez envoyés : c'était mon dernier argent. Aujourd'hui je vis de mon travail de rédaction et de compilation. Il me parait que Parent-Desbarres est content de ce que je lui donne; je m'habitue à écrire, il ne me manque que le repos d'esprit. Comme la tempête commerciale ne peut durer toujours, aussitôt que la librairie se relèvera, j'espère bien profiter, autant qu'un autre, du beau temps. Nous vivons dans le siècle des grosses entreprises littéraires ; je tâcherai d'en faire mon profit.

Je vous souhaite le bonjour, et vous prie de compter sur ma bonne volonté, si l'état de ma fortune ne vous inspire que crainte et défiance.
Votre ex-collègue,

P.-J. PROUDHON.