1839-04, de Pierre-Joseph Proudhon à Monsieur Maurice.

Mon cher et ancien collègue, je n'ai pu acquitter votre facture de MM. Analin et Cie, parce que j'avais disposé déjà des 83 fr. la cent, de MM. Gaume, et qu'il ne me restait pas assez d'argent pour faire la somme. Bien que je travaille depuis quelque temps, je n'ai pas encore touché un sou. Cependant, j'ai tout lieu de croire que mes diverses occupations suffiront toujours à mes besoins personnels, en sorte qu'il n'y aura pas lieu pour moi à prendre rien sur ma pension. Par là, l'acquittement des intérêts que je dois pour cette année et l'autre, ainsi que le versement de mon premier terme, sont assurés. J'ai donc encore deux ans pour aviser à sortir de mes embarras. M. Droz, qui a fini par savoir que je travaillais pour des imprimeurs et des libraires, et qui avait commencé à m'en faire des reproches, m'a pleinement loué quand il a connu tous les faits. Vous savez, par la lettre que doit vous remettre mon parent M. Proudhon, que mon deuxième semestre restera à Besançon entre ses mains pour payer où je dois. C'est ce que j'ai fait connaître à

M. Droz. En somme, et après de longs détails sur mes affaires, je lui ai dit que je devais 10.000 francs, c'està-dire 500 francs d'intérêts par an. Il a répondu que ce n'était pas un mal sans remède, et qu'il n'y avait pas de quoi se décourager. Je suis vraiment joyeux qu'il envisage la chose sous ce point : le remède sera peut-être plus tôt trouvé.

Depuis que Vieux a quitté Paris, je n'ai pas de ses nouvelles ; on vient de me demander le second Bergier qu'il a vendu. Vous ignorez peut-être qu'il n'en existe plus nulle part, ni dans le magasin ni ailleurs ; il serait donc à propos d'en faire brocher au moins deux cents, sur lesquels vous m'enverriez quelques douzaines.

Lorsque j'ai conté à Vieux notre tirage particulier du Solilogisme, il en a paru blessé, ce que j'attribue moins à la délicatesse de sa conscience qu'au dépit de n'y avoir pas pensé pour lui-même. Toutefois, il serait, pour le moment actuel, peu disposé à faire précéder les intérêts du curé de Brezolles par les nôtres ; car ce curé manque d'argent, et Vieux aussi. Ne comptez donc pas de sitôt sur la coopération, et lâchez plutôt de faire quelque chose avec le curé de Riez, ou tout autre.

Je pensais que la demi-feuille dont vous me parlez était composée et tirée ; peut-être que ma mémoire me sert mal ; vérifiez, s'il vous plaît, les livres d'impression et de banque. Du reste, agissez comme il vous plaira.

J'avais cru devoir donner à Mme L*** quelques avertissements généraux sur ce que vous m'aviez dit : il me paraît que mes avis l'ont blessée, car, ni par vous, ni par aucune autre voie, je n'ai reçu de lettre de sa part depuis plus de deux mois. Ce serait sottise à elle de prendre si mal des avis dictés par le seul intérêt qu'on lui porte. Elle est libre, au surplus, de choisir entre mes conseils et des suggestions étrangères ; mais jamais je ne souffrirai entre elle et moi de sujets de tracasseries et de cancans. Qu'elle en prenne son parti. Le jour où je recevrai sur son compte d'autres rapports que les vôtres, ou ceux de gens dont la bienveillance pour elle ne peut être douteuse, je mettrai entre elle et moi un intervalle que la clameur publique ne franchira pas.

Je ne vois plus MM. L***.

J'ai 'été tout malade ces derniers temps, du froid, de l'humidité, de mon dégoûtant régime, de l'excès du travail et de la crise ministérielle.

Adressez vos lettres, s'il vous plaît, à M. Proudhon, non pas homme de lettres, mais imprimeur ou étudiant.

J'attendais une occasion pour vous écrire ; elle ne partira pas avant quinze jours, et il est assez urgent que vous fassiez commencer le brochage des deux cents Bergier.

Je vous saurais gré d'avertir Huguenet des choses que vous pouvez découvrir sur Perrenot et autres : il y est autant intéressé que moi.

Je vous salue de tout mon coeur.

P.-J. PROUDHON.