1838, de Pierre-Joseph Proudhon à Monsieur Huguenet.

Mon cher Huguenet, je m'occupe de mon côté de notre atelier autant que les circonstances me le permettent. J'ai écrit déjà au curé de Brezolles, à un curé de Dijon, et j'écrirai bientôt à un autre. Je vois avec une vraie satisfaction que nous pourrons naviguer malgré le vent et les étoiles.

J'ai reçu ce matin la visite de M. Henri qui me demande à acheter l'imprimerie. Je lui ai donné tous les renseignements qui se doivent en pareil cas, et pour le prix, j'ai déclaré que je ne céderais rien à moins de vingt mille francs. Je trouve que c'est cher ; cependant, il fera prendre des renseignements à Besançon; ainsi, attendez-vous à une visite. Il arrivera peut-être à en offrir dix-huit mille, et je refuserai. Quand il consentirait au prix de 20,000 fr., il faudrait encore le consentement de M. Vieux; ainsi le marché n'est guère probable. Quoi qu'il en soit, donnez, s'il y a lieu, toutes les instructions possibles ; ne craignez pas de faire valoir toutes nos chances de succès; quoique je n'espère ni ne désire vendre, je ne serais pas fâché d'avoir reçu des offres. Le jour où j'aurais refusé 20,000 fr. de cette boutique, elle en vaudrait dans l'opinion 25,000. C'est du macairisme; mais cela ne fait de tort à personne.

Aujourd'hui et dans quelques années, l'état d'imprimeur peut être le fondement de mon avenir ;je l'ai dit à M. Henri. Nos affaires sont visiblement en hausse, et si je vends, je veux non-seulement ne rien perdre, mais encore être dédommagé des chances de succès que j'abandonne. L'imprimerie vaut pour moi 20,000 fr., tel a été mon dernier mot. Conduisez-vous en conséquence ; faites valoir le métier ; ce n'est pas en dépréciant qu'on remonte les affaires. Il faut absolument que je puisse dire, à la fin de tout ceci, qu'on m'a offert, 18,000 fr. de mon matériel et de mon brevet.

J'ai prié M. Maurice de vous dire de m'envoyer 12 à 13 a-Kempis ; de porter 48 sous au compte du curé de Brezolles pour port, et de regarder comme vendus pour notre compte et pour le sien, les 150 à-Kempis livrés au curé de Rios.

A votre prochaine, vous me ferez connaître l'état des finances.

Si jamais vous deviez livrer quelque traite ou effet à un banquier, que la maison Détrey vous soit interdite; adressez-vous à M. Jacquard ou à d'autres. Le temps pourrait venir où MM. Détrey se souviendraient de moi.

Je n'ai, du reste, mon cher Huguenet, que des éloges

à vous décerner; je me fie complètement à vous. Le monde ne comprend pas que je puisse être en repos comme je fais, sur un fondé de pouvoir et un prote; le monde ne sait ce que c'est que l'honneur et la conscience. conscience. l'amitié.

Si vous voyez Jouvenot, dites-lui que je fais canne, bottes et manteau ; qu'une personne venue de Paris vous l'a dit ; mêmement que je ne rabats plus le collet de ma chemise, et que je me rase deux fois par semaine ; qu'à mon retour de Besançon, je les éclipserai tous à la gloire de mon soleil non, au soleil de ma gloire.

Est-ce que le père Coco sent déjà des influences printanières !

Adieu.

P.-J. PROUDHON.

P.-S. Tous les imprimeurs sont ici à la débine; mandez-moi ce qui se passe là-bas.