1839-05-02, de Pierre-Joseph Proudhon à Monsieur Huguenet.

Mon cher Huguenet, Foucaut refuse définitivement d'embrasser l'imprimerie, au grand déplaisir de sa femme, à ce que j'ai cru voir, mais il n'ose contrarier son père. — Je me suis adressé depuis au même jeune homme dont la famille avait pris des informations ; il écrira demain à sa famille, et, comme il désire en finir au plus vite, j'ai lieu de croire que nous terminerons à notre satisfaction. Je lui ai esquissé un projet de traité qu'il communiquera à sa famille; j'ai réservé par l'une des clauses 5 p. 100 sur les bénéfices en votre faveur. Vous me direz que vous les donneriez bien pour 5 centimes de plus par jour, mais vous savez que toute récompense n'est pas d'argent, et vous êtes fait pour le comprendre mieux que personne. Si je pouvais rester seul, si j'avais de quoi m'acquitter, je ferais mieux, mais je ne puis disposer de ce dont je ne suis point seul maître. Faitesmoi donc épouser 20 ou 30,000 francs !...

Mon parent Proudhon me marque qu'il est bien fatigué de sa tenue de livres et qu'il lui tarde d'en être débarrassé. A cela je ne vois qu'un remède. Puisqu'il est entendu que c'est à vos risques et périls que vous travaillez, il faut encore vous charger bravement ed cette corvée. Cette tenue de livres, avec les documents que vous fournissez, n'est rien; et d'ailleurs, vous savez que je n'ai jamais entendu vous donner dans mon cousin un contrôleur ni un surveillant. D'abord je n'en avais pas le droit, d'après nos conventions, ensuite je ne vous aurais jamais fait cette injure. J'écris à M. Proudhon dans ce sens. Ainsi, reprenez tous les livres, et si, ce que je ne présume pas devoir arriver, vous aviez besoin de mon autorisation pour quoi que ce fût, je vous l'enverrais sur-le-champ. Tenez toujours exactement, vous vos livres d'imprimerie et de banque, et Mme L"*** son carnet, et quand vos livres seraient arriérés de trois mois, avec cela il serait toujours facile de les mettre au niveau.

Je vois que le grand ressort est toujours détendu pour vous ; l'argent vous manque ; ce malheur est aujourd'hui ce qu'il y a de plus commun. Eussiez-vous la moitié de ce qu'on a dépensé en lampions pour notre bon roi, et vous eussiez de quoi graisser les roues de votre charrette! Les pauvres n'ont point de graisse dans leur soupe; cela n'est point étonnant, elle brûle aux illuminations.

Fallot m'a écrit qu'il vous procurait le plus d'ouvrage qu'il pouvait; il me prie en même temps de parler pour lui à M. Droz, qui parlera à des députés, qui parleront à M. Legrand qui lui a promis une place. Fallot va toujours à son but par cascades.

Adieu, je vais à une séance académique. Dessirier va partir pour l'Afrique où il sera gérant de 10,000 hectares de terre, à 5,000 francs d'appointements et 10 p. 100 d'intérêt.

P.-J. PROUDHON.