Paris, 1er juin 1839.
Mon cher Huguenet, ayez la complaisance, aussitôt mon paquet remis en vos mains, de déposer au secrétariat de l'Académie ou chez M. Pérennès, le manuscrit enveloppé et cacheté que je vous envoie avec la présente, par M. Sainte-Agathe. Je désire que cette commission soit faite avec toute la discrétion possible. N'en parlez à qui que ce soit; si Fallot vous interrogeait à cet égard, ignorez tout.
J'ai composé un discours sur le Dimanche ; quelque soit le jugement de l'Académie, je compte l'imprimer. M. Pauthier me procurera un libraire. Mais quand on saura dans le public que je suis l'auteur de ce discours, ce sera un beau tapage. Je puis dire que je viens de passer le Rubicon. Si mon ouvrage était moins long, je vous dirais d'en prendre connaissance, mais vous ne perdrez rien pour attendre. Je vous informe de tout ceci, afin que vous compreniez mieux l'importance que j'attache au secret. Au 24 août prochain, vous connaîtrez les résultats de mon coup d'essai.
Je n'ai aucune nouvelle ni de mon parent Proudhon, ni de vous, ni de personne; cela m'inquiète. J'ai travaillé ce mois de mai avec une telle activité, que j'en suis malade : la tête et l'estomac succombent parfois ; je suis épuisé. J'ai bien des lettres à écrire et des réponses à faire, je n'en ai guère la force. Si mon premier opuscule littéraire obtient quelque succès, je serai bientôt en état de publier quelque chose fous les six mois. Il faut frapper ferme et dru.
Je présume que vous avez eu de quoi vous occuper tout ce mois-ci, puisque vous n'avez pas eu le loisir de m'écrire ; informez-moi de ce que vous avez de nouveau, Je suis impatient d'avoir une réponse de vous sur toutes les choses dont je vous ai parlé dans ma dernière lettre, afin que je sache ce que je dois écrire à M. Proudhon. Je n'ai pas revu mon associé en perspective; comme il s'était affilié à des sociétés secrètes, je crains qu'il ne se soit compromis dans l'émeute; j'ignore sa demeure, et je n'ai pas eu un moment pour aller aux informations.
J'ai vu deux fois M. Sainte-Agathe ; il m'a montré l'exemplaire des Mémoires de l'Académie. Je voudrais que nous pussions imprimer aussi bien, mais il faudrait du neuf. La correction est médiocre dans ses impressions, cependant il m'a dit qu'il avait chez lui un correcteur très-distingué.
Je suis dans une grande tristesse : la raison me montre des vérités irréfragables, et la connaissance que j'acquiers du monde chaque jour m'apprend que si je dis ces vérités, je fais le sacrifice de mon bien-être. N'importe, la vérité avant toute chose; il arrivera ce qu'il pourra.
Saluez de ma part mes amis et connaissances et écrivez-moi.
Tout à
vous.
P.-J. PROUDHON.