Paris 18 janvier 1839
Mon cher Maurice, je vous remercie des détails que vous voulez bien me communiquer sur votre gestion ; vous pourrez, à l'avenir, en conférer avec mon parent pour les écritures et pour les arrangements définitifs. C'est à lui que j'adresserai l'argent que j'aurai à envoyer à Besançon, c'est lui que je prierai de payer à ma place et de veiller à mes intérêts, car vous savez ma haut? incapacité pour les affaires.
Je ne comprends pas quoi inconvénient les L*** auraient trouvé à laisser cumuler la petite somme d'intérêts que nous leur devons au 1er février.
Tout en poursuivant la liquidation, veillez à vos affaires; je ne l'entends pas autrement, et vous devez penser que ce n'est pas moi qui vous ferai jamais de reproches.
Le nouveau travail que je fais sur mou livre a pour but de le mettre en état d'être présenté au concours pour le prix Volney ; le terme de rigueur est au 1er mars prochain; le Mémoire couronné sera proclamé au mois d'avril ou de mai suivant. Si je pouvais seulement obtenir une mention honorable, je ferais imprimer un nouveau frontispice à notre édition de Bergier pour y relater cette circonstance.
Je n'ai aucune envie de faire une nouvelle édition de ma grammaire, tant qu'il restera un exemplaire de Bergier. — A cet égard, Vieux vient de me mettre en relation avec un savant de Strasbourg, qui me promet un article dans les journaux allemands et auquel j'envoie un exemplaire du livre. — Vieux se plaint que la vente marche mal pour M. Parent-Desbarres; il désir-,' se livrer tout entier à notre affaire, au plus tôt.
C'est quand nous serons bien en train que je compte sur lui, surtout pour la vente de notre malheureuse édition.
M. Gaume m'a dit, la dernière fois que je l'ai vu, qu'il était en grande occupation à cause du commencement de l'année, qu'il me ferait passer notre règlement dès qu'il l'aurait terminé.
Pourquoi je n'aime pas M. X***?
Parce que c'est un petit être sans conscience, sans moralité, sans principes, sans probité, sans génie, littérateur pourri, n'ayant rien dans la tète et rien dans le coeur, méprisé même des G*** et consorts. Je viens d'apprendre qu'il était décoré par Louis-Philippe depuis quelques jours, et qu'il allait partir pour Rennes où il a été nommé à une chaire. Quand je serai lié avec un individu de cette espèce, malgré ses décorations, c'est que mon opinion aura été modifiée ou mes principes altérés.
Micaud, dont j'ai reçu dernièrement une lettre, me parle d'un jeune homme de Colmar qui doit, dit-il, me venir parler pour l'imprimerie. D'un autre côté, M. Proudhon, mon parent, me presse de vendre. Je suis tourmenté, harcelé, bataillé par toutes sortes d'ennuis. Ici, mes seuls sujets de désagrément viennent de mon obstination à ne voir personne. Ce n'est pas embarras ni timidité, car on s'aperçoit fort bien que je ne suis pas timide, c'est dégoût de la société, du monde et des hommes. Je ne vais pourtant que dans deux maisons, les plus respectables peut-être de Paris, M. le pasteur protestant Cuvier et M. Droz. Je connais le premier depuis sept ans. D'ailleurs, j'éprouve de la fatigue en toute compagnie. C'est une maladie que j'ai prise à Besançon ; les premiers symptômes datent d'avant notre association. J'aime mes semblables et pourtant ils me lassent et m'ennuient.
Je me trouve bien de ne voir chaque personne qu'une heure par quinzaine.
Je tiens à l'imprimerie comme teigne; plus elle me cause de tracas, plus je m'obstine.
J'ai reçu enfin le paquet avec les lettres. Je vous félicite du dénouement que vous avez trouvé avec Bailli. Huguenet me mande qu'il espère quelque chose de lui.
Je profite de votre permission pour adresser une lettre à mon parent, à l'imprimerie. La première fois que j'aurai le plaisir de vous écrire, il en fera de même pour vous.
Je ne sais pas quel jour j'aurai de l'argent, aussi ne comptez pas sur un jour fixe ; outre la distance de Paris à Besançon, je puis éprouver moi-même un retard; ainsi ne soyez pas surpris si du 1er mars je vous renvoie au 4, 5, 6 ; cela ne dépendra pas de moi.
Je vous souhaite le bonjour.
P.-J. PROUDHON.