Paris 21 mars 1840.
Mon cher ex-associé, je vous serais obligé de ne tirer sur moi que pour la somme de 180 francs, n'étant pas encore sûr d'être payé de Parent-Desbarres, et comptant d'ailleurs avoir une occasion de vous faire parvenir l'argent qu'il me donnera. J'ai obtenu de lui qu'il me paierait les quarante-cinq Bergier (20/24 et 22/21) à raison de 1 fr. 50 net, le tout en un seul règlement, lui disant que j'abandonnais à ce prix le salaire de mes articles sur l'Encyclopédie. Il n'a pu s'empêcher de montrer de la joie de cette proposition. C'est 200 francs qu'il gagne d'un coup, et dont je lui décharge la conscience. Que voulez-vous que je fasse ? Je ne suis pas le seul à qui il doive, et de bien plus fortes sommes ; il a mille intrigues pour esquiver le paiement; il m'a offert des livres dont je no donnerais pas 10 écus; encore n'a-t-il fait que me les offrir. De tout cela j'ai conclu que mieux vaudrait prendre ce qu'il nous doit que de conserver éternellement deux mauvaises créances, et j'ai fait le beau marché que vous voyez. Je compte qu'il me donnera un petit bon ou de l'argent comptant; vous recevrez le tout dès que je l'aurai.
Je suis très-ennuyé, très-dégoûté : j'ai mille raisons de haïr l'imprimerie, mais j'en ai de plus fortes encore de m'y réfugier, si je peux, contre l'incertitude et le néant de la littérature.
N'oubliez pas, à l'occasion, de parler de Bergier à Baille et à Turbergue. Parent-Desbarres en vend, peu il est vrai, mais toujours quelques-uns. — Une veine pourrait venir qui en ferait écouler un bon nombre ; car on me dit toujours que ceux qui en achètent en sont contents.
Je vous souhaite le bonjour.
P.-J. PROUDHON.