1839-07-13, de Pierre-Joseph Proudhon à Monsieur Brunet de la Renoudière.

Je n'ai jamais écrit une ligne pour aucun journal, si ce n'est celui de l' Instruction publique, auquel j'ai donné un article de complaisance ; ce n'est pas que la pensée ne m'en soit jamais venue, mais je trouverais difficilement un journal auquel je convinsse, et qui me convint à moi-même. Cependant, en considération des beaux projets que vous me faites connaître, je pourrais bien parfois vous offrir quelque petit article, mais à la condition expresse que, signant ma pensée, elle ne serait jamais altérée.

Après cela, je m'occuperai volontiers de vous procurer l'échange des journaux que vous désirez contre le vôtre; mais cela seulement quand vous aurez conclu votre marché avec M. Huguenet, qui me témoigne n'être que médiocrement satisfait de vos offres. M. Huguenet a reçu mes ordres pour travailler au meilleur marché possible ; et comme je ne réclame rien do ce qu'il gagne, il ne m'obéit que trop bien. Les bonnes doctrines, monsieur, commencent par ce principe, qu'il faut que tout le monde vive, et que la vérité doit être livrée sans bénéfice par celui qui la répand : Quod gratis accepistis, gratis date. Je croirai à vos généreuses intentions, quand vous aurez cessé de vous défier d'un honnête ouvrier, et que vous ne marchanderez plus sur sou misérable salaire. Je pourrais ici, monsieur, vous exposer quelques-unes de mes idées politiques sur les droits d'auteur et de journaliste, et sur les privilèges de l'ouvrier ; je les réserve pour l'un de vos premiers numéros, si vous agréez le service de mes presses et la collaboration de ma plume. Je crois n'appartenir à aucune opinion ; aussi il m'importe fort peu quel journal m'imprimera, pourvu qu'il ne m'impose pas sa façon de voir et de dire.

Croyez, monsieur, que je n'ai qu'une parole, sur laquelle je ne reviens jamais, et agréez s'il vous plait, l'assurance de mon dévouement bien sincère,

P.-J. PROUDHON.