1839-02-23, de Pierre-Joseph Proudhon à Monsieur Huguenet.

Mon cher Huguenet, je viens de recevoir une seconde lettre de M. Micaud, dans laquelle il me donne de nouveaux détails sur l'affaire du pamphlet.

Chacun admire votre zèle, loue votre probité, et rend justice à la loyauté de vos intentions; mais on persiste à dire qu'il y a eu imprudence de votre part, et que votre négligence à remplir les formalités de la loi n'a pas d'excuses. Je n'ignore pas que pour le commun des impressions, on ne se presse pas toujours pour se mettre en règle ; une paire d'heures, un livre de prières, un cantique de mission est souvent chez le libraire avant d'être envoyé à la préfecture ; mais vous sentez qu'en fait de politique, il ne faut pas offrir la moindre prise au pouvoir et à la police.

Vous voyez, par ce qui arrive à l'auteur, que la chose est plus considérable que vous ne l'auriez cru d'abord. — Vous avez fait une étourderie, convenez-en de bonne foi; et, de ma part, je ne vous en veux pas, j'eusse peut-être fait pis.

Mais envoyez-moi donc ce diabolique et satanique pamphlet et donnez-moi des détails que je puisse croire vrais et sans exagération; puis nous n'en parlerons plus.

Je vais écrire à M. le préfet; en vous excusant auprès de lui, je serai obligé d'accuser un peu plus vos lumières que votre caractère. Voilà à quoi je suis réduit, faute d'être suffisamment instruit par vous. Ainsi, ne vous en prenez qu'à vous-même de la témérité du jugement que je porterai peut-être sur votre conduite dans cette occasion.

Je vais entrer en rapport avec M. Parent-Desbarres pour lui lire des épreuves, et lui rédiger des articles pour sa grande publication de l'Encyclopédie catholique. Si nous parvenons à nous entendre, que mon travail lui agrée, et qu'il fasse cas de mes services, la planche sera faite; nous pourrons espérer de travailler pour lui.

Si, comme je vous l'ai déjà annoncé, le projet de dépôt de librairie confié à M. Vieux, à Besançon, se réalise (et rien ne peut l'empêcher de se réaliser), nous verrons nos relations s'étendre et s'agrandir de plus en plus, rien ne procurant plus facilement des labeurs à un atelier, comme des relations de librairie.

De mon côté, je fais amas et provision de science; au lieu d'un journal, chose dont le succès serait douteux au pays, et qui d'ailleurs serait sujette à bien des tracasseries, je chercherai, de concert avec mes amis, à fonder une Revue de Franche-Comté. Une publication toute littéraire ne peut manquer d'être bien accueillie, et, n'ayant rien à démêler avec le gouvernement, en serait favorisée.

Allons, tâchez de mettre fin à vos embarras; dites moi ce que je dois faire, à qui m'adresser, s'il y a des recommandations à prendre, etc.. etc. Micaud me marque qu'on m'accuse d'être républicain, et qu'il n'est pas surprenant qu'une brochure comme celle-là soit sortie de mes presses. M. Tourangin recevra ma profession de foi à cet égard; elle sera franche et sincère, je vous en réponds ; mais la honte en retombera sur les sots et épais bourgeois qui n'aiment la monarchie que parce qu'ils s'en veulent faire une servante trèshumble et un instrument de domination et d'oppression.

Je vous souhaite le bonjour, et au père Coco.

Vous avez dû, ces jours-ci, être furieusement crucifié par les donneurs d'avis et les conseillers obséquieux.

C'est de quoi je vous plains encore plus que de toutes vos frayeurs.

Adieu
Tout à vous,

P.-J. PROUDHON.