1862-12-26, de  Delacroix, Eugène à  Colonna Walewski, Alexandre.

Monsieur le Ministre 1,

Un tableau dont je suis l’auteur et représentant un Crucifiement 2 fut acheté par le ministre de l’Intérieur 3 au Salon de 1835 et destiné à la ville de Vannes, qui en fit don à l’une de ses églises, Saint-Paterne. J’apprends que cet ouvrage, placé depuis longtemps dans une chapelle humide et obscure et dans les conditions les plus défavorables pour sa conservation, est effectivement menacé d’une destruction complète4. Un avis officieux donné il y a quelque temps à cet égard au curé de la paroisse n’a rien changé à la situation.

Je prends la liberté de m’adresser à Votre Excellence pour savoir s’il n’y aurait pas lieu de demander à la ville le renvoi à Paris du tableau menacé, afin de pourvoir d’abord à d’urgentes réparations, sauf à disposer ensuite du tableau [p. 2] comme il plaira à Votre Excellence ; elle trouvera peut-être que la ville, qui ne possède pas de musée, serait peu fondée à le revendiquer pour le rendre à la fabrique de l’église, laquelle n’a pas su pourvoir à sa conservation. Il m’a été suggéré en outre que la place défavorable assignée depuis tant d’années à mon tableau avait pu avoir pour objet une figure de Madeleine qui n’aurait pas paru au clergé suffisamment drapée. Cela pourrait sembler à Votre Excellence une nouvelle raison pour que ce tableau, que j’avais composé sans intention de le voir figurer dans une église, obtînt une nouvelle destination après avoir été convenablement réparé. Je conserverais une bien vive reconnaissance de tout ce que Votre Excellence voudrait bien ordonner dans cette circonstance pour sauver un ouvrage auquel j’attache quelque prix, et j’ose l’espérer, de la haute et bienveillante sollicitude qu’elle étend à tout ce qui intéresse les arts.

J’ai l’honneur d’être [p. 3] avec respect, Monsieur le Ministre, de Votre Excellence, le très humble, très obéissant serviteur,

Eug. Delacroix, membre de l’Institut