1832-04-19, de Pierre-Joseph Proudhon à Claude-François Proudhon ; Catherine Simonin, ép. Proudhon.

Mes chers parents, l'eau de Paris ne m'incommode pas; elle est plus agréable que celle de Besançon, parce qu'elle est toute filtrée et saturée d'oxygène, ce qui en fait encore un préservatif contre le choléra. Au surplus, que celui-ci ne vous épouvante pas ; dans le cas le plus malheureux, à Paris, il ne tuera pas un homme sur trois cents : on peut encore tirer à cette loterie. Paris est infecté de chlore et de camphre. Pour le moment, je ne fais autre chose que lire et écrire dans notre chambre, lire et écrire dans les bibliothèques. C'est un peu fâcheux pour vous, j'en conviens ; ce n'était pas là tout ce que je vous avais fait espérer; mais il faut bien commencer en toute chose par le commencement. Ceci, d'ailleurs, ne saurait durer six mois. Au bout de ce temps, si nous nous apercevons que je ne puis être bon à rien, eh bien ! je redeviendrai compositeur et correcteur, ce que je serai toujours quand je le voudrai. J'en serai quitte pour la petite humiliation de m'entendre appeler auteur manqué, car je suis actuellement placé dans ces alternatives, de travailler à devenir auteur, ou de mourir de faim, ou de redevenir imprimeur. La dernière ne me tente guère, la deuxième encore moins; faute de mieux, il me reste le premier choix; que ne ferait-on pas pour écarter la mort ou le choléra ? Je ne me plais que médiocrement à Paris, et l'intention de Fallot, aussi bien que la mienne, est d'en sortir le plus tôt que nous le pourrons, Besançon nous réclame autant l'un que l'autre.

Je vous embrasse, mes chers parents.

Votre fils,P.-J. PROUDHON.