1827-05-05, de Félicité de Lamennais à Monsieur le Comte de Senfft.

J'ai écrit, il y a quelques jours, mon cher ami, à Mme de Senfft, pour vous annoncer mon arrivée ici, et pour vous dire avec combien d'impatience j'attendais de vos nouvelles. Je ne serai tout à fait tranquille sur la santé de la comtesse . Louise, sur celle de Mme de Senfft, sur la vôtre, que lorsque vous m'aurez rassuré par des détails plus satisfaisants que les derniers. Pour moi, je sens que mes forces ont extrêmement diminué depuis un an, et mon travail ne diminue point.

J'ai passé l'été et l'hiver dernier à transcrire des notes, et je vois que j'en ai pour longtemps encore de cette fastidieuse et fatigante occupation. C'est pourquoi je me décide à chercher quelque aide, et c'est à vous que je m'adresse pour cela. Ayant à peu près dix-huit mois à passer ici seul, je serais bien aise de trouver quelque distraction utile dans la société du secrétaire dont j'ai besoin; et, comme cette distraction ne pourrait être celle qui résulte de la communication des idées, sur les sujets qui m'intéressent, j'ai pensé que je n'en trouverais pas de meilleure ni de plus commode qu'en la cherchan dans l'étude d'une langue que je n'ai pas l'habitude de parler. Si donc vous pouviez me procurer un Italien, vous me rendriez un vrai service. Je crois qu'on parle à Modène un langage pur; et, dans ce cas, il vous serait facile de vous informer si l'on y trouverait ce que je désire. Il me faudrait un tout jeune . homme, finissant ses humanités, pour plusieurs raisons : et parce qu 'il n'en serait pas encore à prendre un état, et parce que je ne pourrais pas offrir les avantages qu'un autre demanderait avec justice. Voici quelles seraient mes conditions : le logis, la table, le blanchissage et 600 fr. par an. Je payerais en outre les frais de voyage pour venir et ceux de retour, lorsque ce jeune homme retournerait dans son pays. Il aurait appris au moins le français, et c'est une chose à considérer. Je voudrais qu'il fût pieux, de mœurs douces, et qu'il sût écrire lisiblement. Si cette affaire s'arrangeait, je vous prierais d'avancer les frais de voyage jusqu'à Paris, où il arriverait avec une lettre de vous pour l'abbé Gerbet (rue de l'Est, n° 5), ou en son absence pour l'abbé de Salinis. Ils l'hébergeraient et le feraient ensuite partir pour la Chenaie; ou même ils l'y amèneraient, car ils doivent l'un et l'autre y venir dans le courant de l'été. Je n'exige pas qu'il parle le français; il me conviendrait même beaucoup mieux qu'il ne le sût pas du tout. Du reste, je vous demande d'être nommé le moins possible.

Vous voyez, mon cher comte, j'abuse de votre amitié ; mais vous êtes si bon, que vous me pardonnerez. Il s'agit d'ailleurs d'avancer mes travaux que je crois importants, et de soutenir un peu ma santé qu'altère une solitude trop absolue.

Tuissimus in Christo.