Le 1er novembre 1827.
Je vois, — dirai-je avec peine ou avec joie? — que le bon Dieu continue de vous éprouver. Il faut, n'en doutez pas, qu'il ait sur vous de grands desseins de miséricorde. La nature géntit, cela doit être; si elle ne souffrait pas, où serait lemmte?
L'essentiel, c'est que le fonds de la volonté soit soumis. Je relis en ce moment les Soirées de SaÍnt- Pétersbourg ; il y a des choses vraiment admirables. Cependant je ne suis pas tout à fait de l'avis de l'auteur sur la distribution des biens et des maux ici-bas; le juste en souffre beaucoup qu 'il éviterait s 'il n'était pas juste. Il faut ici lier les deux mondes, et alors on dira avec raison que ces maux évitables, et voulus pour rester fidèles, ne sont pas des maux, mais des grâces; en est-il de plus grande que le sacrifice?
Ce n'est pas le cinquième volume de l'Essai qui m'occupe en ce moment, mais un ouvrage sur la Société, qui formera, je crois, trois volumes. Les questions que j'ai déjà traitées y reparaîtront sous un point de vue nouveau et plus étendu -Cet ouvrage, tel que je le conçois, exige de très-grandes recherches, achevées en partie. Je voudrais établir, selon la méthode que j'ai appliquée aux dogmes de la Religion, les lois „ essentielles et constitutives de l'ordre social. Je crains bien qu'un si grand sujet ne soit au-dessus de mes forces; cependant, comme je n'entreprends de le traiter que pour accomplir ce que je crois mon devoir, et uniquement pour la gloire de Dieu, j'espère qu'il daignera m'aider. Mais voilà que j'éprouve un contre-temps auquel j'étais loin de m'attendre. Le jugement arbitral statue que, pour indemnité de mes travaux à la Bibliothèque des Dames chrétiennes, M. de Saint-V.... deviendra à peu près seul propriétaire des ouvrages que j'ai fournis à cette collection. Cela m'oblige, afin de sauver une partie de ma propriété, nécessaire pour éteindre mes dettes, à des travaux qui me prendront environ trois mois. Vous jugez combien cela me dérange, et combien tant de mécomptes successifs jettent de noir dans l'esprit et dégoûtent des hommes. Toutefois il faut tâcher que la paix n'en soit pas troublée. Une autre source d'afflictions, c'est la faiblesse, plus déplorable qu'on ne saurait le dire, de R..., et de tout ce qui tient à R.... Il est bien vrai qu'il faut n'espérer qu'en Dieu, et ne compter que sur lui. Il paraît que M. de Villèle compte sur les électeurs, car on assure que nous allons avoir des élections nouvelles. En ce cas, la censure cesserait de droit après l'ordonnance qui dissoudra la Chambre des députés. Violera-t-on la loi pour la conserver? Quelques-uns le pensent. Quant à moi, je crois tout possible dans ce siècle de boue, qui nous mène droit à un siècle de sang. On parle aussi d'une nomination de 40 à 50 pairs. Vous voyez tout d'un coup le mouvement de toutes les ambitions, et que de paroles pour promettre de se t [lire. Cette odieuse orgie des désirs a son côté plaisant.
Je remercie la comtesse Louise de ses charmantes lettres. Mon Dieu, combien j'aspire au moment où sa santé lui donnera enfin un peu de repos! Je supplie mon cher comte de prendre soin de la sienne. Et vous aussi, madame la comtesse, n allez pas laisser prendre à cette triste goutte trop d'empire sur vous. Traitez-la en reine, j'entends en reine de ce temps-ci; elle sera bien opiniâtre si elle y tient.