1859-08-21, de  Delacroix, Eugène à  Le Guillou, Jeanne Marie, dite Jenny.
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Chère bonne amie 2,

J’ai fait un bon voyage pas trop chaud et ai été bien reçu comme vous pensez : mon bon cousin n’est pas changé du tout : j’ai été étonné de sa bonne mine. Je me sens encore un peu de mon estomac et je me mets au régime pour me rétablir tout à fait. Ce pays-ci m’enchante : la tranquillité des lieux et des gens fait un grand contraste avec le train de Paris et il y a des promenades charmantes. Je suis sur que vous voudriez comme moi vivre dans un pareil lieu.

Que ne puis-je en revenant vous trouver en meilleure situation ! [p. 2]Ayez le courage de prendre les soins qu’il faut de votre santé : ce sera en même temps prendre soin de la mienne. L’exercice est au premier rang de ces soins qu’il faut prendre. Je suppose que vous êtes à Champrosay. Sortez toutes les fois qu’il ne fera pas de soleil et le soir surtout. Je vous donne aussi le conseil que je me donne à moi-même : calmez votre imagination sur les tracas inséparables de la vie : ce sera tout profit pour la santé.

Pensez que vous m’avez promis que vous iriez à Dieppe à mon retour. Le changement de lieu fait toujours du bien. Je suis bien récréé ici de ne plus avoir sous les yeux cet odieux Paris où je [p. 3]suis forcé d’exister. Je vais mener une vie douce et paresseuse et je tâcherai de me conduire pour le régime de manière à ce que vous soyez contente de ma sagesse.

Vous savez que je vous ai priée de me donner de vos nouvelles.

Mon cousin m’avait aussitôt mon arrivée demandé de vos nouvelles. Je lui ai dit que vous étiez bien reconnaissante de son souvenir.

Adieu, chère amie, et je dis plus seule amie. Je vous embrasse bien de cœur.

Eug. Delacroix

Chez Mr. Lamey rue des balayeurs 50. Strasbourg