[p. 1] Champrosay, ce 23 septembre
Chère amie,
Je ne vous ai pas encore remerciée du journal que vous aviez eu la bonté de me mettre à part1. Je voulais en vous répondant vous avertir du moment où vous pourriez envoyer prendre chez ma portière les cinq revues qui contiennent le roman de Mme Sand 2. Comme ces revues contenaient des articles qui occupaient un peu mes loisirs ici, je remettais de jour en jour à les envoyer, mais enfin j’ai vu que je n’en finirais pas. Je les ai donc portées hier moi-même à Paris sans avoir lu la dernière partie de M. de Villemer. Ce sont des ouvrages pleins de mérite et même d’un certain charme, mais on [p. 2] les lit avec un calme qui vous permet d’attendre le dénouement.
Je vous ai parlé du projet d’aller travailler à Paris tout en restant à la campagne 3. Voilà quinze jours environ que j’ai commencé et je m’en trouve très bien. Je suis moins fatigué maintenant que les premiers jours : cela me donne l’espoir de pouvoir continuer. Je pars très matin de manière que je suis de retour avant quatre heures, de manière à jouir encore de la campagne. Le bien que cela fait à ma santé vient, outre l’exercice, de ce que je n’ai pas le temps de m’ennuyer : bien des malaises viennent de l’ennui et du vide. La nécessité de se déplacer sans cesse et d’avoir, surtout, un but [p. 3] dans ce déplacement sont un remède à mille maux.
Écrivez-moi un peu : d’après mon train de vie, je ne reviendrai pas encore m’établir à Paris. Je tâcherai un jour d’aller vous dire bonjour.
En attendant, je vous embrasse bien et vous envoie mille et mille bons souvenirs.
Eug. Delacroix