1849-11-16, de  Delacroix, Eugène à  Forget, Joséphine de.
[p. 1] Madame de Forget, rue de la Rochefoucauld, 19. Paris
Draveil 17 novembre 1849 ; Paris 18 novembre 1849

Je vous écris, bonne chérie, par le plus beau temps du monde. Vraiment, je suis cette année gâté par l’automne. Ce beau jour, outre l’agrément qu’il me donne dans mes promenades, me permet d’avancer beaucoup mes petites peintures. Comme il faudra bien enfin que je me remette à mes grands travaux 1, je ne voudrais pas en être distrait quand je serai de retour par toutes ces petites toiles. Une fois de retour à Paris, ce sera pour longtemps : je fais donc mes adieux à la campagne tout en tâchant de faire un peu soigner mon jardin afin d’arriver l’année prochaine sans être obligé d’employer la mine et la sape pour pénétrer à travers les allées de mon parc.

J’espérais vous voir avant-hier, chère amie. Par un quiproquo de mon portier, la lettre par laquelle j’étais convoqué au ministère pour mon ancienne commission2 a été envoyée trop tard : le bon saint Eugène eut pu être fêté dans les règles comme je l’avais espéré3. Mais ce qui est différé ne sera pas perdu et une fois casé à Paris, nous nous verrons en vrais voisins et mieux que cela encore. Ta petite lettre m’a fait plaisir, bonne amie, et j’ai bien maudit le retard qui m’a [p. 3] empêché d’aller t’embrasser. Tu me parles de Gaultron et du plaisir qu’il a eu à me voir à Valmont. T’ai-je dit qu’il m’avait semblé au contraire qu’il était avec moi plus froid que jamais. La République qu’il a prise fort à cœur semble avoir fait de ce garçon-là un véritable Brutus : il n’y a plus pour lui dans le monde que des républicains.

Adieu, chérie. À bientôt. Je pense à ton jardin en m’occupant du mien. Ce serait le cas de le mettre maintenant sur un bon pied pour l’année prochaine. Adieu encore et mille bien tendres tendresses.