1860-08-18, de  Forget, Joséphine de à  Delacroix, Eugène.
[p. 1] Monsieur Eugène Delacroix à Champrosay par (Seine-et-Oise) Draveil
Rochefort–Montagne 18 août 1860
Clermont à Paris 19 août 1860

C’est avec bonheur, mon cher ami, que j’ai reçu de vos nouvelles ; je craignais que vous ne fussiez malade ; vous avez bien fait de quitter les bords de la mer 2 où il devait faire bien froid ; ici nous avons de la pluie tous les jours, ce qui est d’autant plus triste que les promenades sont ravissantes : ce pays de montagnes est bien beau, bien pittoresque, il y a des bois dont les arbres sont gigantesques et embellis par des points de vue charmants. Nous menons une vie douce et tranquille. Nous sommes en famille avec quelques personnes agréables et spirituelles. On fait un peu de musique sans prétention, on lit, on joue, je travaille et le temps passe assez vite. Eugène n’est pas ici, je l’attends la semaine prochaine et avec lui, nous réglerons [p. 3] mon retour à Paris ; ce sera, je pense, vers les premiers jours de septembre. En retournant de Cordès, je m’arrêterai un jour chez lui dans une propriété où j’ai habité longtemps pendant mon séjour en Auvergne, où j’ai été si malheureuse, mais où j’étais si jeune3 ! Tous ces souvenirs sont fort tristes, mon cher ami, et je ne puis me consoler qu’avec ma bonne santé, j’en sens tout le prix, et je voudrais, mon ami, que vous eussiez aussi cette consolation. J’espère que l’hiver prochain sera meilleur pour vous que le dernier, d’abord il sera probablement moins froid. Soignez-vous, ne vous fatiguez pas trop au travail. Vous devez être content, mon ami, d’avoir acheté votre petite campagne, où vous êtes établi confortablement, et le plaisir de la propriété a bien son charme4 ! Moi aussi j’aimerais avoir une charmante campagne, mais la perspective d’y être seule m’ôte [p. 4] tout le désir d’en avoir une, d’ailleurs mon petit jardin de Paris suffit à mes goûts5.

Si vous n’étiez pas trop paresseux vous seriez bien aimable de me donner encore une fois de vos nouvelles ; lorsque je serai de retour à Paris, je passerai chez vous pour savoir si vous y êtes revenu ; en attendant, cher bon ami, je vous embrasse de tout cœur, et vous envoie toutes mes tendresses les plus sincères.

Baronne de Forget

N’irez-vous pas cet automne chez M. Berryer 6 ?