C’est avec un grand plaisir, cher
ami
2, que j’ai reçu votre lettre, et de savoir que vous vous portez bien et
que vous vous plaisez beaucoup dans cette charmante campagne et avec des personnes si
agréables ; je vous félicite de ces bonnes vacances : je désirerais bien aussi avoir quelque
fois de ces distractions, mais pour moi les voyages sont plus difficiles à arranger que pour
vous. Il est vrai que je passe mon été d’une manière bien triste ; je suis bien isolée,
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mais que faire ? On arrange sa vie comme on peut et non comme on veut. Soyez bien
persuadé que le plus grand bonheur pour moi, et même le seul, c’est de vous voir et je jouis
bien rarement de ces bons moments !
Je viens d’être fort souffrante, et je le suis encore : j’ai eu une névralgie abominable
sur les gencives, ce qui produit l’effet d’une rage de dents, et cela pendant deux nuits et
trois jours, enfin la fluxion est arrivée et les douleurs atroces ont cessé. Aujourd’hui je
suis encore tout enflée, c’est un froid que j’aurais pris en contemplant mes canards, ma
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distraction dans ce moment-ci. Je prendrai demain une médecine et probablement je serai
quitte de tous ces petits maux.
Toutes mes connaissances sont encore absentes et reviendront je pense dans le mois d’octobre. J’ai loué une loge aux Italiens tous les quinze jours, laquelle sera meilleure, je l’espère, que celle de l’année dernière, mais toujours fermée. Nous aurons Tamberlick et les restes de Mario 3 ; enfin, cher ami, lorsque vous voudrez entendre un peu de musique je serai bien heureuse de vous offrir une place avec moi ; j’espère avoir aussi une quinzaine à l’Opéra : ce sont mes seuls plaisirs, mes seules distractions, et je suis fâchée que pour vous le spectacle ne soit pas un grand plaisir comme autrefois.
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Mon fils est toujours en Auvergne jouissant avec délices des plaisirs de la
campagne et du propriétaire : si je pouvais plus tard avoir à moi une bicoque, il me semble
que cela me distrairait, mais en Auvergne,
c’est bien loin, et puis la propriété qui est à mon fils, et dont je pourrais jouir, est en
si mauvais état que pour la rendre agréable, je m’y ruinerais. Enfin, cher ami, quand on est seule dans ce monde
on a bien de la peine à s’y arranger : pardonnez-moi toutes mes plaintes, probablement ma
santé me rend plus mélancolique que les autres jours. Vous me ferez bien plaisir de m’écrire
quelquefois pour me donner de vos nouvelles.
Je vous embrasse [de] cœur et je vous assure de nouveau de ma tendre et sincère affection.
Bne de Forget