1860-08-07, de  Forget, Joséphine de à  Delacroix, Eugène.
[p. 1] Monsieur Eugène Delacroix, 4 rue de Furstemberg faubourg Saint-Germain Paris
Rochefort–Montagne, 9 août 1860
Clermont à Paris, 10 août 1860
Paris, 10 août 1860

Où êtes-vous, mon cher ami ? Avez-vous quitté Dieppe 1 ? Je ne sais où vous adresser ma lettre, mais j’ai besoin de causer avec vous et de savoir de vos nouvelles. Moi, je suis partie de Paris le 2 août, et je suis arrivée, sans beaucoup de fatigue, le soir à Clermont, et de là dans une ravissante campagne chez Mme de Marpon , la nièce de Mme de Cordès ; le 4 nous sommes tous partis pour Cordès, où je suis bien installée dans ma chambre, que j’habitais lorsque je venais ici, il y a plus de trente ans2 ! Que d’événements pendant ces années ! Ce qui est triste, c’est de me retrouver vieille, lorsque j’étais si jeune et si fraîche quand je venais admirer ces belles montagnes, cette belle nature, qui, plus spirituelle que nous, ne vieillit pas ! Le château est bien antique puisqu’il date du XIe siècle, il est bien curieux, bien pittoresque, et on s’y trouve très bien3. [p. 3] Les hôtes de cet antique manoir sont bons et aimables pour moi, et cette vie douce et tranquille me rend bien heureuse, car il y a peu de monde. Mme de Cordès m’a beaucoup demandé de vos nouvelles et m’a dit qu’elle aurait été bien heureuse de vous recevoir4 : quel bonheur aussi pour moi, mon ami, mais les bonnes choses de ce monde ne sont pas si faciles pour nous que pour les autres personnes.

Êtes-vous de retour à Paris ? Votre séjour à Dieppe n’aura peut-être pas été très agréable pour vous car nous avons un été abominable, sans soleil, sans chaleur, et de la pluie presque tous les jours. Écrivez-moi, je vous en prie, car je suis triste de ne pas savoir où vous êtes, ce que vous faites et comment va votre santé. Eugène 5 est en Auvergne, je l’attends cette semaine.

Adieu, cher bon ami, ne tardez pas à me répondre et soyez assuré de ma tendre et sincère affection.

Baronne de Forget

[p. 4]

Si vous avez besoin des trois Revue des Deux Mondes que vous m’avez prêtées avant votre départ, je vous les renverrais de chez moi, elles sont bien serrées. Voici mon adresse :

Au château de Cordès, par Rochefort-Montagne (Puy-de-Dôme).

Adieu encore, je vous embrasse de cœur, et mille tendresses.