1859-10-28, de  Forget, Joséphine de à  Delacroix, Eugène.

Il faut que je me hâte de vous remercier de votre bonne lettre, mon cher ami, car vous allez bientôt quitter le séjour enchanté que vous habitez. Je conçois que vous vous y plaisiez, avec d’aussi aimables hôtes et ce qui convient très bien à votre santé de jouir de la campagne, sans avoir à travailler2. J’ai conservé, moi aussi, un bien doux souvenir de notre soirée aux Italiens. Je crois, mon ami, que ce sont les nerfs de votre imagination qui sont malades : vous vous imaginez que vous serez fatigué, et seulement cette crainte vous [p. 2] empêche de jouir d’aucun plaisir. J’espère cet hiver, lorsque je pourrai vous procurer le plaisir d’entendre de la bonne musique, vous en jouirez complètement, quitte à être un peu fatigué le lendemain et à ne pas travailler ce jour-là !

Je suis encore bien seule, mon fils n’est pas revenu d’Auvergne, et les habitants de la campagne sont si contents d’y être qu’ils ne veulent pas revenir à Paris. Cependant, nous avons un temps bien abominable et beaucoup moins beau que l’année dernière : le matin, il fait froid comme en hiver. Lorsque vous serez à Champrosay, au milieu de vos ouvriers, vous aurez bien [p. 3] le temps de me donner de vos nouvelle, cher ami, et je tiens beaucoup à en avoir3. Je ne vous conterai aucune nouvelle, vous devez en avoir bien plus que moi qui ne vois personne.

Je lis beaucoup, et du Dickens qui m’amuse, je travaille à votre couvre-pied qui sera je crois fort joli, et très chaud surtout. Et malgré tout cela, je m’ennuie beaucoup, mais c’est ma maladie chronique, à laquelle il n’y a pas de remède ! Les années augmentent beaucoup cette maladie !...

Adieu, cher ami, votre affection est ma seule consolation, soyez en bien persuadé, et en attendant le bonheur de vous revoir, recevez toutes mes tendresses de cœur.

Be de Forget.