[p. 1] Ce 18 août 1
Je suis enchantée d’avoir reçu de vos nouvelles que j’attendais avec bien de l’impatience, mon ami : vous voilà donc à Plombières 2 ? Je vous félicite, prenez vos bains bien exactement, je suis sûre qu’ils vous feront du bien : boit-on de ces eaux ? J’ai passé il y a quelques jours à votre logement pour avoir de vos nouvelles, on m’a répondu que votre gouvernante et votre bonne étaient parties.
J’ai été la semaine dernière dans votre nouveau quartier 3 et en faisant une visite à des personnes qui demeurent dans [p. 2] votre maison, je suis entrée chez vous, dans votre jardin, j’ai tout visité. Votre jardin sera bien gentil, mais il est bien dominé par des quantités de fenêtres ; vous ne serez pas chez vous. Je crains qu’il ne soit bien humide, il n’a pas beaucoup d’air, ensuite, ce que je crains davantage, c’est le froid que vous prendrez en passant de votre atelier dans votre appartement : à votre place je ferais fermer la petite partie de l’escalier que vous aurez à traverser ; vous serez saisi par le froid en sortant de votre atelier très chauffé. Votre appartement me paraît commode mais quand sera-t-il terminé ? [p. 3] Il est dans un état de délabrement affreux, il y a beaucoup à y faire et je vous assure, moi qui connais les ouvriers, que vous n’en jouirez pas pour l’époque où vous devez y entrer. J’ai passé chez vous par le jardin, mais non par le grand escalier : comme cette maison est vieille ! Je vous conseille donc de faire mettre les ouvriers promptement et de faire fermer votre petit escalier en dehors4.
Jouissez, mon ami, de ce beau temps, de ce soleil, du beau pays où vous êtes, car l’hiver arrivera bien vite avec ses tristesses, ses froids et ses ennuis ; restez donc le plus possible dehors Paris. Vous devriez visiter Blois, Tours et tous les environs qui sont bien curieux.
Vous avez appris la nomination de M. Laity 5 [p. 4] sénateur, vous en serez bien content ainsi que nous : les bons choix sont si rares !
Je vais souvent à Madrid 6 chez Mme Cavé, elle a perdu sa sœur qui était assez jeune ; je vais aujourd’hui dîner chez elle, avec notre nouveau sénateur. Nous aurons About 7, que je ne connais pas ; nous faisons de beaux projets pour cet hiver et nous voudrions bien vous avoir, mais où serez-vous ? Dans votre faubourg Saint-Germain, qui est si éloigné : je préférais beaucoup votre appartement actuel 8, je le trouve bien plus gai et plus sain. On m’avait parlé d’une ravissante petite maison de Ziegler qui, dit-on, ne se vendra pas plus de 45 000 F, qui est ravissante et pour rien, rue de la Bienfaisance 9. Si j’avais eu de l’argent, je l’aurais achetée pour la louer ; enfin, n’y pensons plus, puisque vous avez terminé.
[p. 5] Adieu, cher ami, écrivez-moi, donnez-moi de vos nouvelles. Moi, je me porte bien, ma bonne santé est mon seul bien sur cette terre et j’en sens bien le prix ; cependant, je m’ennuie terriblement, et je trouve que la vie est bien lourde à supporter. Je voudrais bien, mon ami, vous en donner de ma bonne santé, mais j’espère que vous allez faire un nouveau et bon bail, et que vous nous reviendrez engraissé...
Adieu encore, Eugène est en Auvergne, assez bien portant dans ce moment-ci. Je vous embrasse et vous aime tendrement.
Baronne de Forget
Êtes-vous à Plombières avec votre cousin 10 ?