Ce 2 janvier 1858
Chère amie,
J’ai été bien tristement désappointé en voyant hier votre carte et le malheur qui m’est arrivé avec vous, m’est arrivé encore avec une autre personne. Je me suis si brusquement installé que je n’ai pu encore avoir un ouvrier pour me mettre des sonnettes : de sorte que l’appartement étant grand, quand il n'y a pas quelqu’un à portée, on n’entend pas frapper1. Gardez-moi dans votre aimable intention pour le moment où je n’aurai pas à redouter un semblable accident.
Je ne sors qu’à coups de bâton à cause de cet affreux temps : j’organise tout le chauffage possible et je souffle encore dans mes doigts. Du reste, je [p. 2] pense que je serai ici fort bien : les pièces sont beaucoup plus grandes que dans mon ancien logement, ce que j’apprécie beaucoup. Je n’entends point de bruit, autre point capital pour un homme qui reste beaucoup chez lui. Seulement, le moment est très incommode pour s’installer : on ne peut avoir aucun ouvrier.
Chère amie, recevez mes vœux sincères au commencement de cette année pour que tout succède à votre gré autant que cela est possible dans cette vie. Il y faut passer absolument par-dessus bon nombre d’ennuis pour n’y trouver que de rares moments d’un certain agrément ou tout simplement de calme. Venez dans le faubourg Saint-Germain : l’air du lieu vous gagnera : vous ne [p. 3]rencontrerez plus autant de gens qui ont l’air d’être heureux parce qu’ils se remuent beaucoup.
J’espère bientôt, chère, aller vous répéter tout cela en dépit du brouillard. Je vous embrasse bien sincèrement en attendant.
Eug. Delacroix
Mille et mille amitiés les plus sincères à Eugène, je vous prie.