Ce 2 août , samedi 1
J’ai reçu ta lettre, mon pauvre ami, tu as dû recevoir la mienne il y a déjà plusieurs jours ; hélas ! le temps me paraît bien long aussi, je t’assure, éloignée de toi, et soupirant après des nouvelles2 ! Je suis contente de ce que tu m’écris sur ta santé. Tu vois qu’il n’y a rien de grave, seulement il faut du repos, des soins, mais ceux qui te conseillent de partir me paraissent de fameux bavards… Je conçois ton isolement, mon ami, ta tristesse au milieu de ces montagnes et de cette belle nature mélancolique ! C’est moi qu’il te faudrait pour t'accompagner dans ces promenades sentimentales… Mon Dieu, que je serais ainsi heureuse avec toi !!! Je ne sais si vous jouissez d’un beau temps et d’un soleil. Quant à nous, c’est de la pluie continuelle, il ne fait pas chaud du tout, enfin c’est un temps affreux, et pour ta santé, je crois qu’il est très heureux que tu sois éloigné de notre vilain climat. Je gémis beaucoup de cette pluie à cause de mon cher Ville-d’Avray, où il fait humide, par la quantité d’arbres qui entourent la maison ; nous avions le projet d’aller y dîner aujourd’hui. Eh bien il pleut depuis plusieurs heures : je n’y vais pas coucher ; mais j’espère qu’à ton retour, la chaleur viendra enfin nous visiter, tu seras plus fort, mieux portant, et tu pourras venir dîner avec nous, en plein air, cela est très amusant ! Voilà mes seules consolations, ce sont des projets lorsque tu seras revenu, mais qui ne se réaliseront pas tous, car tu vas te remettre au travail avec fureur, et je sais bien que cela est nécessaire, il faudra rattraper le temps perdu3.
J’ai reçu hier une lettre de M. Gaultron, que je n’ai pas vu depuis un siècle, et qui me demande de vos nouvelles et votre adresse, parce qu’il désire vous écrire, pour affaires4 : je la lui ai donnée ; il me dit aussi que votre camériste vient souvent chez lui, pour savoir de vos nouvelles, et qu’elle s’inquiète de ne pas en avoir : quelle brave femme !!!
J’ai commencé vos bandes de tapisserie, pour votre portière, ce sont de grosses fleurs, bien nuancées, qui ont de brillantes couleurs, je crois que ce sera très beau : cet ouvrage m’amuse beaucoup.
Il paraît que les Vieillard ne vont ni à Trouville, ni à Touques, ils vont rester à Paris ; notre ami a un commencement de goutte. Ne lui écrirez-vous pas, pour le consoler de ses ennuis ?
Hortense te remercie de ton bon souvenir, elle t’envoie mille amitiés, elle se porte assez bien : son mari est toujours à Nancy, auprès de son père mourant et de sa mère qui est tombée dangereusement malade, de chagrin et de fatigue : le pauvre Richard passe des moments bien cruels, et désire vivement revenir auprès de nous. Mme Méneval m’écrit de Gif que Louise est au désespoir du départ de son mari pour la Sologne 5. Ce sont des cris, des pleurs, elle ne sait qu’en faire : on ne se serait pas douté de cette tendresse, de cette passion. Voilà ce que nous sommes, lorsque nos maris sont bons et gentils pour nous…
Vous n’avez donc pas trouvé de Roqueplan, ni aucune figure de connaissance6 ? J’en suis fâchée, ce serait une ressource pour vous, n’ayant pas votre frère. Le pauvre homme, il vous verra bien peu de temps ; ne m’oubliez pas auprès de lui7.
Adieu, mon ami chéri. Écris-moi, c’est aussi mon seul bonheur, ma seule consolation. Je vais compter les jours avec impatience jusqu’au 15 du mois. Cependant, s’il te faut quelques jours de plus pour prendre les eaux, résigne-toi et pense à l’hiver et aux vilains rhumes que tu gagnes. Le médecin de l’endroit est-il habile ? et t’inspire-t-il quelque confiance ? adieu, mon bon chéri, il faut m’arracher au bonheur de causer avec toi.
Je t’embrasse et je t’aime de toute la force de mon cœur.
Consuelo