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Mon cher ami, j’ai reçu hier ta
dernière lettre. Je te remercie de ton exactitude, et si j’étais égoïste je te souhaiterais
souvent cette vie triste et ennuyeuse, parce qu’alors tu penses et tu écris à ton amie1… Mais je suis trop malheureuse
de ton absence pour ne pas désirer vivement que notre correspondance ne dure pas trop
longtemps. Seulement je te félicite de ton exactitude, et je suis vivement reconnaissante de
ton bon souvenir. Pense souvent à moi, mon
ami, et amuse-toi le plus que tu pourras : il y a donc des poupées au nombre de vos compagnons d’infortune ? Elles sont très jolies, j’en suis
sûre, ce qui vaut mieux que le naturel, aussi je commence à être fort jalouse de ces
promenades dans les environs… Malgré ma féroce jalousie, amuse-toi,
promène-toi, porte-toi bien, et ta tendresse pour moi sera j’espère ma sauvegarde.
As-tu reçu une lettre de notre ami Gaultron ? Je ne sais quel effet aura produit la tienne à l’ami Vieillard, un très bon sans doute, car tu
es fort aimé de ce
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côté-là ; j’ai appris, que Mme Vieillard, plus
capricieuse que jamais, avait renoncé à des voyages pour cet été ; au reste, on se console
facilement de rester à Paris, par ce temps
affreux. Figure toi que, depuis ton départ, il a plu presque tous les jours. Hier lundi,
nous avons été passer la journée à Ville-d’Avray, il y avait 10 jours que [nous] n’avions pu y aller ; le temps
était beau le matin, et à 5 heures nous avons eu une averse terrible, qui a mouillé toute la
terre, et à midi le temps fort humide. Dans vos
montagnes, vous avez au moins une belle vue et de la chaleur, mais je conçois,
mon pauvre ami, votre tristesse
au milieu de cette belle et sauvage nature, et sans une figure amie autour de vous : la
mienne vous manque, n’est-ce pas mon
chéri ? Que je serais heureuse, de faire de belles promenades avec vous,
toujours avec vous !!!
Mon Dieu, mon pauvre ami, je commence à être ennuyée cruellement de cette vie triste et insipide et surtout lorsque vous n’êtes pas là, je suis découragée complètement !
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Recevez-vous les journaux de Paris ? Bosio
2, le sculpteur, vient de mourir, mais il était âgé, et je crois que
vous ne le connaissiez pas particulièrement.
Richard est toujours à Nancy, son père n’est pas mort, mais il est mourant et le pauvre garçon assiste à toutes ces scènes cruelles !!!
Il n’y a rien de nouveau ici, vous ne me parlez pas de votre santé, de votre gorge, ce qui me fait penser que tout va bien, vous devez manger énormément, et l’estomac, dans un si bon air, doit digérer facilement. Enfin, ami, je te recommande ta santé et de rester le temps nécessaire pour que l’hiver prochain tu te conduises comme un homme ordinaire.
Adieu, je t’aime et t’embrasse bien tendrement, continue à m’écrire aussi exactement, c’est mon seul plaisir dans ma solitude. Mille amitiés de la part d’Hortense.
Consuelo
ce mardi 5 août