1845-08-05, de  Forget, Joséphine de à  Delacroix, Eugène.

p. 1 Mon cher ami, j’ai reçu hier ta dernière lettre. Je te remercie de ton exactitude, et si j’étais égoïste je te souhaiterais souvent cette vie triste et ennuyeuse, parce qu’alors tu penses et tu écris à ton amie1… Mais je suis trop malheureuse de ton absence pour ne pas désirer vivement que notre correspondance ne dure pas trop longtemps. Seulement je te félicite de ton exactitude, et je suis vivement reconnaissante de ton bon souvenir. Pense souvent à moi, mon ami, et amuse-toi le plus que tu pourras : il y a donc des poupées au nombre de vos compagnons d’infortune ? Elles sont très jolies, j’en suis sûre, ce qui vaut mieux que le naturel, aussi je commence à être fort jalouse de ces promenades dans les environs… Malgré ma féroce jalousie, amuse-toi, promène-toi, porte-toi bien, et ta tendresse pour moi sera j’espère ma sauvegarde.

As-tu reçu une lettre de notre ami Gaultron ? Je ne sais quel effet aura produit la tienne à l’ami Vieillard, un très bon sans doute, car tu es fort aimé de ce p. 2 côté-là ; j’ai appris, que Mme Vieillard, plus capricieuse que jamais, avait renoncé à des voyages pour cet été ; au reste, on se console facilement de rester à Paris, par ce temps affreux. Figure toi que, depuis ton départ, il a plu presque tous les jours. Hier lundi, nous avons été passer la journée à Ville-d’Avray, il y avait 10 jours que [nous] n’avions pu y aller ; le temps était beau le matin, et à 5 heures nous avons eu une averse terrible, qui a mouillé toute la terre, et à midi le temps fort humide. Dans vos montagnes, vous avez au moins une belle vue et de la chaleur, mais je conçois, mon pauvre ami, votre tristesse au milieu de cette belle et sauvage nature, et sans une figure amie autour de vous : la mienne vous manque, n’est-ce pas mon chéri ? Que je serais heureuse, de faire de belles promenades avec vous, toujours avec vous !!!

Mon Dieu, mon pauvre ami, je commence à être ennuyée cruellement de cette vie triste et insipide et surtout lorsque vous n’êtes pas là, je suis découragée complètement !

p. 3 Recevez-vous les journaux de Paris ? Bosio 2, le sculpteur, vient de mourir, mais il était âgé, et je crois que vous ne le connaissiez pas particulièrement.

Richard est toujours à Nancy, son père n’est pas mort, mais il est mourant et le pauvre garçon assiste à toutes ces scènes cruelles !!!

Il n’y a rien de nouveau ici, vous ne me parlez pas de votre santé, de votre gorge, ce qui me fait penser que tout va bien, vous devez manger énormément, et l’estomac, dans un si bon air, doit digérer facilement. Enfin, ami, je te recommande ta santé et de rester le temps nécessaire pour que l’hiver prochain tu te conduises comme un homme ordinaire.

Adieu, je t’aime et t’embrasse bien tendrement, continue à m’écrire aussi exactement, c’est mon seul plaisir dans ma solitude. Mille amitiés de la part d’Hortense.

Consuelo