de  Forget, Joséphine de à  Delacroix, Eugène.

Vous avez bien fait de m’écrire, ami, je commençais à vous en vouloir et à être fort triste de rester si longtemps sans vous embrasser. Je ne compte pas demain aller au Français, mais puisque vous êtes encore un peu souffrant, je vous engage, ami, à venir dîner avec moi. Vous passerez votre soirée sur mon bon canapé, et vous ne serez pas fatigué par le spectacle qui demain vous fatiguerait peut-être plus qu’un autre jour. Dans quelques jours, je prendrai une loge pour voir Iphigénie 1 et vous viendrez avec moi ; de cette manière vous ne perdrez pas votre spectacle et vous serez mieux avec moi que tout seul dans votre Italie, n’est-ce pas, ami chéri 2 ? Ma santé est assez bonne, mais combien je suis fâchée, bon chéri, de vous voir encore tout souffrant. La santé de ma pauvre malade se rétablit bien doucement, et combien je suis triste lorsque je reviens chez moi, d’avoir vu souffrir toute la journée, et de ne pas vous voir pour me consoler un peu ; maintenant surtout que je suis libre tous les soirs. Que tu as raison, ami ! Que la vie est ennuyeuse et triste, d’être toujours séparée des personnes que l’on aime le mieux ! Demain je te verrai, n’est-ce pas ? Viens dîner à 6 h ½. J’espère que tu n’es pas fâché de l’arrangement du spectacle que je remets à un autre jour, c’est à cause de ta santé, ami, que je te conseille de venir auprès de ton amie qui te soignera si bien ! Je suis bien fâchée que tu n’aies pu venir à l’Opéra vendredi dernier ; Duprez a été enivrant3  !

Adieu, ami que j’aime. Mille fois merci de ta bonne lettre. Je t’attendais ce soir et sans ta lettre j’aurais été bien malheureuse, au lieu que maintenant, j’espère demain, et avec de l’espoir, on vit…

Je t’envoie mille et mille bonnes caresses.

Si je ne te vois pas à 6 h ½, je dînerai et je ne sortirai pas, je t’attendrai, mais si tu es bien, viens dîner.

Adieu, amour chéri, million de fois chéri. Je baise ta bonne main, bien tristement, je t’assure.