1778-05-13, de Voltaire [François Marie Arouet] à Catherine II, czarina of Russia.

Madame,

La traduction française de la traduction allemande de vos lois qui devraient être universelles est faite il y a longtemps.
Elle doit être actuellement imprimée à Genêve mais je n'en ai point encore de nouvelles. Ma transplantation dans la bonne ville de Paris et une maladie cruelle qui menace le reste de mes jours. L'âge de quatre-vingt quatre ans me met hors d'état d'en informer votre majesté impériale. Si je réchappe j'aurai l'honneur de vous en rendre un meilleur compte.

Je fais mon examen de conscience devant votre majesté avant d'aller paraître devant dieu. Je me souviens du malheur de vous avoir adressé trois personnes dont votre majesté n'a pas eu grand sujet d'être contente.

Le premier était un géant qui a dit on fraudé vos douanes. Le second était un officier entendant fort bien le génie, mais il s'est fait Turc. Le troisième, fils d'un baron allemand, est, à ce qu'on dit, un ivrogne.

Pour faire pénitence de ces trois péchés permettez moi de vous parler d'un bon et brave Suisse nommé Ribaupierre major dans le régiment de Neprovonÿ actuellement à votre service en Crimée. On dit que celui là répare les sottises des trois autres; que c'est un excellent officier très appliqué et très sage. C'est une consolation pour moi que du moins un de ceux auxquels je me suis intéressé soit digne d'être à votre service.

Je souhaite que votre majesté soit bientôt en pleine possession de ce royaume de Thoas et d'Iphigenie si fameux autrefois dans la Grèce et si abruti par le gouvernement turc. Vous le débarbariserez.

J'ai vu l'écritoire qu'on a faite à Paris pour votre majesté impériale. C'est assurément la plus belle écritoire qui soit dans le monde; elle vaut quatre mille roubles de Russie ou quatre mille écus romains, ou quatre mille taëls de la Chine; mais elle ne vaut pas l'écritoire avec laquelle vous avez écrit vos lois pendant la paix et vos ordres à vos généraux pendant la guerre.

J'ignore avec quelle écritoire votre voisin l'empereur de la Chine Kienlong a écrit son beau poème de Moukden dans lequel il assure ses peuples qu'il a une vierge pour aïeule. C'est une chose qui n'est pas rare; mais ce qui l'est beaucoup, c'est qu'il ait une héroïne sur les bords de la Neva qui éclipse les héros de la Grèce et de Rome.

Que votre majesté impériale pardonne au bavardage de votre ancien serviteur de Ferney qui pourtant ne radote pas quand il parle de son héroïne.

V….