à Ferney, 13 juillet 1770
Madame,
Votre Majesté Impériale m'a bien consolé par la Lettre du 27 mai dont elle a daigné m'honorer, mais au 30 mai ma joie a été bien empoisonnée par toutes les mauvaises nouvelles qu'on a débitées.
Je renais aujourd'hui. On débite que vos troupes victorieuses ont pris Corinthe. Puissent elles aller bientôt en Thessalie et en Macédoine. Ces pays montagneux ne sont guère propres aux évolutions de mes chars; mais je leur donne rendez-vous dans les plaines d'Adrianople.
On publie aussi des nouvelles fort agréables de Venise. Si cette république se déclare c'est une preuve indubitable que vos affaires sont dans la meilleure situation. Vous aurez ressuscité à la fois Venise et la Grèce. Aucune cour de l'Europe ne s'attendait à ce qui est arrivé depuis que le nonce du pape déchaîna contre votre majesté le mouphti de Mahomet.
Nos petites guerres en Allemagne sont des jeux d'enfants en comparaison du grand spectacle que vous donnez à la terre entière; vous intéressez à la fois Rome et Pekin.
On ne savait pas auparavant s'il y avait un Brahilow dans le monde. Daignez donc prendre ce Brahilow, madame, je vous en conjure, et passez ce Danube qui coule chez les papistes, chez les protestants et chez les circoncis.
Rendez aux pauvres Grecs leur Jupiter, leur Mars, leur Venus; ils n'ont eu de la réputation que sous ces dieux là. Je ne sais par quelle fatalité ils ont été abrutis dès qu'ils ont été chrétiens. J'espère que tout chrétiens qu'ils sont ils ranimeront leur courage sous vos drapeaux.
Si votre majesté ne peut pas prendre Constantinople cette année, ce qui me fâche beaucoup, prenez du moins la Grèce entière, et puissiez vous avoir une communication ouverte de Corinthe à Moscou. Cela aura très bonne grâce dans les cartes géographiques et me consolera un peu de ne pas venir me mettre à vos pieds sur le canal de la mer Noire.
Agréez toujours, madame, mon profond respect et mon admiration pour votre majesté impériale.
Le vieil hermite de Ferney