à Ferney 5e 7bre 1770
Madame,
J'étais si plein des victoires de vôtre Majesté Impériale, et si boufi d'entousiasme et de gloire que j'oubliai de vous envoier les vers que le Roi de Prusse m'écrivait sur vôtre respectable personne et sur le peu respectable Moustapha.
Voicy ces vers.
Je n'ai pas l'honneur de penser comme les têtes couronnées. Je crois fermement que cent mille hommes de troupes auxiliaires en Grèce et sur le Danube n'auraient fait nul mal. Il valait mieux dans vôtre situation être secourue qu'être louée. Vôtre gloire en a augmenté, mais les conquêtes en ont été retardées.
Les dernières Lettres de Venise disent que dans une émeute populaire les fidèles musulmans se sont déchainés contre tous les Francs, qu'ils ont tué l'ambassadeur de France et prèsque tous ses domestiques, que l'ambassadeur d'Angleterre n'a pu échaper à la fureur du peuple qu'en se déguisant en matelot, que le Dayle de Venise s'est longtems deffendu dans sa maison, et qu'à la fin le grand seigneur lui a envoié une garde de mille hommes.
Si ces nouvelles étaient vraies (ce que je ne veux pas croire) quels princes de l'Europe n'armeraient pas sur le champ pour venger le droit des gens? Vous seule le soutenez, Madame, aussi vous seule jouïrez d'une gloire immortelle.
Que Vôtre Majesté Impériale me permette de me mettre à ses pieds.
Le vieil hermite de Ferney