1770-07-07, de Frederick II, king of Prussia à Voltaire [François Marie Arouet].
Que le saint père ait fait brûler
Un gros tas de mes rapsodies,
Je saurai, pour m'en consoler,
M'échauffer à leurs incendies,
Et mettre aux pieds de Jésus-Christ,
En bon enfant de saint Ignace,
Tout ce que j'ai jamais écrit
Sans l'assistance de la grâce,
Suffisante comme efficace.
Mais ce suisse du paradis
Etait ivre, ou du moins bien gris,
Lorsqu'il osa traiter de même
Les ouvrages de mon bon saint,
Nouveau patron de Cucufin.
J'appelle de cet anathème
Au corps du concile prochain.
Il paraît même très plausible,
Et, malgré Loyola, je crois
Que le saint-père en tels exploits
Ne fut jamais moins infaillible.

Ce bon cordelier du Vatican n'est pas, après tout, aussi hargneux qu'on se l'imagine. S'il fait brûler quelques livres, c'est pour que l'usage ne s'en perde pas; et d'ailleurs les nez romains aiment à flairer l'odeur de cette fumée.

Mais n'admirez vous pas avec quelle patience digne de l'agneau sans tache il s'est laissé enlever le comtat d'Avignon, combien peu il y pense, et dans quelle concorde il vit avec le très-chrétien? Pour moi, j'aurais tort de me plaindre de lui; il me laisse mes chers jésuites, que l'on persécute partout. J'en conserverai la graine précieuse, pour en fournir un jour à ceux qui voudront cultiver chez eux cette plante si rare. Il n'en est pas de même du sultant turc.

Si monsieur le mamamouchi
Ne s'était point mêlé des troubles de Pologne,
Il n'aurait point avec vergogne
Vu ses spahis mis en hachi,
Et de certaine impératrice
Qui vaut seule bien d'empereurs,
Reçu, pour prix de son caprice,
Des leçons qui devraient rabaisser ses hauteurs.
Vous voyez comme elle s'acquitte
De tant de devoirs importants.
J'admire, avec le vieil ermite,
Ses immenses projets, ses exploits éclatants;
Quand on possède son mérite,
On peut se passer d'assistants.

C'est pourquoi il me suffit de contempler ses grands succès, de faire une guerre de bourse très philosophique, et de profiter de ce temps de tranquillité pour guérir entièrement les plaies que la dernière guerre nous a faites, et qui saignent encore.

Et quant à monsieur le vicaire
(Je dis vicaire du bon dieu)
Je le laisse en paix, en son lieu,
S'amuser avec son bréviaire.
Hélas il n'est que trop puni
En vivant de cette manière,
Du sage en tout pays honni,
Payé pour tromper le vulgaire,
Et tremblant qu'un jour en son nid
Il n'entre un rayon de lumière
Dardé du foyer de Ferney.
A son éclat, à ses attraits,
Disparaîtrait le sortilège;
Lors adieu le sacré collège,
La sainte église et ses secrets.

Lorette serait à côté de ma vigne, que certainement je n'y toucherais pas. Ses trésors pourraient séduire des Mandrin, des Conflans, des Turpin, des Richelieu, et leurs pareils. Ce n'est pas que je respecte des dons que l'abrutissement a consacrés, mais il faut épargner ce que le public vénère; il ne faut point donner de scandale: et, supposé qu'on se croie plus sage que les autres, il faut, par complaisance, par commisération pour leurs faiblesses, ne point choquer leurs préjugés. Il serait à souhaiter que les prétendus philosophes de nos jours pensassent de même.

Un ouvrage de leur boutique m'est tombé entre les mains; il m'a paru si téméraire, que je n'ai pu m'empêcher de faire quelques remarques sur le Système de la nature, que l'auteur arrange à sa façon. Je vous communique ces remarques; et si je me suis rencontré avec votre façon de penser, je m'en applaudirai. J'y joins une élégie sur la mort d'une dame d'honneur de ma sœur Amélie, dont la perte lui fut très sensible. Je sais que j'envoie ces balivernes au plus grand poète du siècle, qui le dispute avec tout ce que l'antiquité a produit de plus parfait; mais vous vous resouviendrez qu'il était d'usage, aux temps reculés, que les poètes portassent leurs tributs au temple d'Apollon. Il y avait même, du temps d'Auguste, une bibliothèque consacrée à ce dieu, où les Virgile, les Ovide, et les Horace, lisaient publiquement leurs écrits. Dans ce siècle où Ferney s'élève sur les ruines de Delphes, il est bien juste qu'on y envoie ses offrandes; il ne manque au génie qui occupe ces lieux que l'immortalité.

Vous en jouirez bien par vos divins écrits;
Ils sont faits pour plaire à tout âge,
Ils savent éclairer le sage,
Et répandre des fleurs sur les Jeux et les Ris.
Quel illustre destin, quel sort pour un poème,
D'aller toujours de pair avec l'éternité!
Ah! qu'à cette félicité
Votre corps ait sa part de même!

Ce sont des vœux auxquels tous les gens de lettres doivent se joindre; ils doivent vous considérer comme une colonne qui soutient seule par sa force un bâtiment ruineux prêt à s'écrouler, dont des barbares sapent déjà le fondement. Un essaim de géomètres myrmidons persécute déjà les belles lettres, en leur prescrivant des lois pour les dégrader. Que n'arrivera-t-il pas lorsqu'elles manqueront de leur unique appui, et lorsque de froids imitateurs de votre beau génie s'efforceront en vain de vous remplacer! Dieu me garde de n'avoir pour amusement que des courbes et d'arides solutions de problèmes plus ennuyeux encore qu'inutiles! Mais ne prévenons point un avenir aussi fâcheux, et contentons nous de jouir de ce que nous possédons.

O compagnes d'une déesse!
Vous que par des soins assidus
Voltaire sut en sa jeunesse
Débaucher des pas de Vénus,
Grâces, veillez sur ses années;
Vous lui devez tous vos secours;
Apollon pour jamais unit vos destinées,
Obtenez d'Alecto d'en prolonger le cours.

Federic