à Ferney 25 juillet 1777
Madame,
Souffrez qu'un de vos admirateurs, un des nombreux sujets que vous avez à quelques centaines de lieues de vos états, un vieillard qui ne sait s'il est mort ou vivant, se jette encore une fois aux pieds de votre majesté impériale.
Premièrement, il faut que je lui dise que tout mourant que je suis, j'ai vu chez moi deux fois le prince Joussoupoff tartare, dont le grand père était païen, et qui est un des plus aimables chrétiens de cet hémisphère, qui parle français comme votre majesté, qui sait presque autant de langues qu'elle, et qui est presque aussi instruit qu'elle. Ces prodiges ne m'étonnent plus, mais ils m'enchantent toujours. Que de choses vous avez créees! Ensuite, je dis que je ne veux pas mourir sans avoir vu le recueil de vos lois, et j'ose demander ce recueil.
En voici la raison: un magistrat de Berne propose un prix de cinquante louis d'or pour celui qui fera le meilleur mémoire au jugement de la Société de Berne, sur la réforme qu'on doit faire dans le code des lois criminelles allemandes. Un dévot à ste Catherine de Petersbourg veut ajouter cinquante autres louis d'or à ce prix, afin que la récompense soit moins disproportionnée à l'importance du travail. Il propose lui même aux concurrents le plan d'une nouvelle loi contraire à tout ce qui se pratique autour de nos provinces, et conforme à tout ce qu'il sait des lois émanées de votre majesté impériale.
Le prix ne sera donné qu'en 1779, mais ce plan nouveau sera publié dans peu de mois. Si votre majesté daigne favoriser cette entreprise de deux cents roubles, elle sera la législatrice de nos treize petits cantons, comme elle l'est du quart de ce globe. Le secret sera gardé jusqu'à la fin de l'année 1779. Je ne serai plus alors, mais vous serez plus brillante, et plus révérée que jamais, redoutée toujours des Turcs, et bienfaitrice des Tartares de Crimée, comme des Tartares qui habitent les petits cantons suisses. Vous aurez créé des hommes nouveaux depuis les mers glaciales jusqu'aux Alpes et au mont Jura.
Pardonnez ma liberté, daignez protéger encore ce radoteur que vous avez comblé de tant de bontés, et qui est avec le plus profond respect, comme avec la plus vive reconnaissance,
madame,
de votre majesté impériale,
le très humble et très obéissant serviteur
V.