1774-05-16, de Voltaire [François Marie Arouet] à Catherine II, czarina of Russia.

Madame,

J’ose encore interrompre les occupations de votre majesté impériale pour la supplier de daigner accorder un sauf-conduit pour le sr Michel Rose votre sujet qui me fait rougir de honte, car il est venu apprendre le français à Ferney, et je ne sais pas un mot de russe.
Il est parti déjà pour aller attendre à Lubek l’effet de vos bontés. Il amène même avec lui une recrue de français et de françaises.

Je me jette donc aux pieds de votre majesté impériale, et la supplie d’ordonner qu’on envoie à ce Michel Rose son sauf-conduit à Lubek, chez le banquier Gansland.

On dit que mr le marquis Pugatschew n’a pu empêcher l’envoi de l’or et de l’argent des mines de Sibérie. On n’aurait jamais pu me faire croire autrefois que ces métaux pussent croître dans le voisinage des Ostiaks et des Samoièdes, ni qu’on trouvât des archipels dans la mer du Kamtschatka. Mais votre majesté m’a accoutumé aux prodiges.

La mort du roi de France est un événement, qui je crois, ne changera rien aux affaires de l’Europe, mais qui produira des révolutions à Versailles, révolutions qui ne vous importent guères. Nouveau roi, nouveau ménage, disait notre Henri IV.

Nos gazettes disent que votre majesté est en train de faire la paix avec le Turc. La paix est une très belle chose; et c’était ce que je souhaitais le plus après la prise de Constantinople. La législatrice se mettra à la place de la conquérante. Les oliviers croîtront au bord de la Neva avec les lauriers.

Que votre majesté impériale daigne agréer le profond respect et l’attachement inviolable du vieux malade de Ferney.

V.