30e 8be 1769, à Ferney
Madame,
Vôtre Majesté Impériale me rend la vie en tuant des Turcs.
La Lettre dont elle m'honore du 22e 7be me fait sauter de mon lit en criant alla Catharina! J'avais donc raison, j'étais plus prophête que Mahomet; Dieu et vos troupes victorieuses m'avaient donc éxaucé quand je chantais Te Catharinam laudamus, te dominam confitemur. L'ange Gabriel m'avait donc instruit de la déroute entière de l'armée ottomane, de la prise de Choczim, et m'avait montré du doigt le chemin de Yassi.
Je suis réellement, Madame, au comble de la joie, je suis enchanté, je vous remercie, et pour ajouter à mon bonheur, vous devez toute cette gloire à Monsieur le nonce. S'il n'avait pas déchainé le Divan contre vôtre Majesté vous n'auriez pas vangé l'Europe.
Voilà donc ma législatrice entièrement victorieuse. Je ne sais pas si on a tâche de suprimer à Paris et à Constantinople vôtre instruction pour le code de la Russie; mais je sais qu'on devrait le cacher aux Français; c'est un reproche trop honteux pour nous de notre ancienne jurisprudence ridicule et barbare prèsque entièrement fondée sur les décrétales des papes, et sur la jurisprudence ecclésiastique.
Je ne suis pas dans vôtre secret; mais le départ de vôtre flotte me transporte d'admiration. Si l'ange Gabriel ne m'a pas trompé c'est la plus belle entreprise qu'on ait faitte depuis Annibal.
Permettez que j'envoie à vôtre majesté la copie de la Lettre que j'écris au Roi de Prusse. Comme vous y êtes pour quelque chose j'ai cru devoir la soumettre à vôtre jugement.
Que Dieu me donne de la santé, et certainement je viendrai me mettre à vos pieds l'été prochain pour quelques jours, ou même pour quelques heures si je ne puis mieux faire.
Que vôtre Majesté Impériale pardonne au désordre de ma joie, et agrée le profond respect d'un coeur plein de vous.
l'hermite de Ferney