[31 March 1778]
. . . Je ne finis pas, quand je vous écris, ma soeur, et cependant je ne vous ay pas encore parlé de mr de Voltaire, je l'ay beaucoup vu, depuis mon arrivée, il vit de gloire, comme moy, d'amitié, et j'aime encore mieux ma nouriture que la sienne, tout Paris va frapper à sa porte et les élus y entrent.
Hier, il est venu a la Comédie, l'on donnoit son Iréne. Je ne peus pas vous donner une idée des transports du public, on s'est levé, on a applaudy, des pieds, des mains, on a crié, on a pleuré, ah les Français, c'est un peuple charmant, bien sensible et bien aimable. Sa tragédie a été reçue avec transport, après la piece, la toile est tombée pour un moment et s'est relevée pour offrir au public, la buste du grand homme, sur un autel, entouré de toute la troupe des Comédiens, les transports du public ont redoublé, on a jetté au père de Mérope et d'Alzire une Couronne de lauriers, et on l'a forcé de la porter sur sa tête. Mr d'Alembert l'a posée luy même sur ce vieux front, qui semblait rayonner dans cet instant. Melle Vestris s'est avancée vers luy, et luy adressant la parolle elle luy a dit les vers que je joins icy, le public les interrompait par des cris et des élans de joye et d'enthousiasme, aussitôt que les vers ont été lus, tous les acteurs ont accablé le buste de couronnes de laurier, le public a fait répéter les vers deux fois, et la toile est retombée, vous pourés juger de la joye, du délire ou etoit mr de Voltaire. Moy je voulais le regarder, mais le tumulte étoit si grand que ma lorgnette a été brisée par un flot. Jamais on n'a vu ce qui s'est passé hier a la Comédie, à présent que je vous l'ay raconté, je réfléchis que je suis un nigaud, car le journal de Paris vous le dira bien mieux que moy . . . .
De Claris