De Roüen le 19 janvier 1738
Quand j'ay craint vostre indifférence
Je reçois vos vers, ces vers doux,
Ces gages de vostre Constance,
Et mon Coeur revole vers vous.
Ainsy quand L'effort tirannique
Ota Le fer à son Aimant
On voit sa Vertu simpathique
L'y ratacher au mesme instant.
Tout a son Penchant, sa tendresse
Et ses acrochemens divers,
L'amant adore sa maitresse,
Moy mon cher Voltaire et ses vers.
Soufrés que cette simpathie
Des Coeurs, des Vertus, des Talens
Qui fait Le charme de ma vie
Vous en offre à jamais l'Encens.
C'est Le Rebut de la Nature
Que ces Coeurs presqu'inanimés
Qu'on voit errer à l'avanture
Sans aimer et sans estre aimés.
Le Monde est une solitude
Pour qui ne sent aucun penchant,
Ostés cette douce habitude
Et nous rentrons dans le Néant.
Formé d'un Limon combustible
Mon Coeur fut prompt à s'enflamer,
Mais l'objet aimable et sensible
Pouvoit Luy seul s'en faire aimer.
Il faut que le Goust, la justice,
D'un ami fasse un But certain,
Que chaqu'instant on le choisisse
Pour Le choisir encor demain.
Chés vous, l'Esprit, le Coeur présente
Ami, La Raison, l'Agrément,
De ma tendresse renaissante
Tour à tour nouvel aliment.
Si la France hautement vous nomme,
Vous opose aux Temps des Cesars,
J'aime de plus dans le grand homme
L'ami Compatissant des Arts;
Virgile aux champs de la Victoire
N'osa sur vous prendre le pas,
Mais vous vouliés encor la gloire
Et les vertus de Mecenas.
Ouy je l'ateste à ma Patrie,
Sa main charitable eut le soin
D'aller ranimer le Génie
Dans les bras glacés du Besoin.
Joignons donc au Laurier Epique
Un Prix rarement mérité
Et de la Couronne Civique
Payons sa générosité.
Ami, voilà pourquoy je t'aime,
Tant de Vertus et de Talens
Ont enlacé de leur main mesme
Nos noeuds durables et charmans.
Malgré la Vigueur du Génie
Le Coeur Languit sans un apui
Et Le plus vray bien de la Vie
Est un tendre et fidèle ami.
Je rens en grâce à mon cher Voltaire des détails dans les quels il veut bien entrer avec moy. Ils m'intéressent puisqu'ils le touchent et me prouvent son amitié. Adieu illustre et tendre ami, permettés que quelque fois j'ose vous distraire et que je vous dise ce que je sens pour vous. J'ay grande envie de m'instruire dans votre Philosophie et de m'attendrir avec Merope. Vous pensés ce que vous devés penser sur Les Linant, ils n'ont mesme osé m’écrire et je vous jure que je ne m'en mesleray jamais.