1733-07-10, de Pierre Robert Le Cornier de Cideville à Voltaire [François Marie Arouet].
Ce Daphnis de vous désiré
Par la Poste en habit champestre
A dû, plus heureux que son maitre,
Aller vous trouver à Sirey.

J'ay transcrit à la haste l'acte de Daphnis et Chlöé, mon charmant amy, dans l'Espérance qu'il trouveroit encor Linant à Paris pour vous Le porter. Vous faites bien de l'honneur à la déesse des songes de la trouver digne de figurer avec ces gentils enfans qui ont eu le bonheur d'estre élevés sous vos yeux et qui se sentent de vostre protection.

Il est des vers comme des fruits,
Il leur faut un scit agréable,
Et c'est d'un astre favorable
Qu'ils tiennent leur beau coloris.

Passablement de candeur et de penchant à la tendresse qu'a vostre serviteur joint au coup d'oeil d'un grand maitre a fait la fortune de mes petits bergers. Pour L'acte des songes je ne devois pas trop le manquer non plus, puis que les songes en amour ont été ma resource toute ma vie.

Aprés qu'Amour par les rigueurs
De La Belle et sévère Hortense
A glacé le jour ma Constance,
Pour ne point rebuter Le plus tendre des coeurs
Il permet qu'un songe agréable
Me la peigne sensible à mes ardens désirs,
Et tel est Le pouvoir de ce mensonge aimable
Qu'il soulage un mal véritable
Par l'ombre mesme des plaisirs.
N'allés pas révéler L'innocent stratagesme
Qu'en mes malheurs j'ay scu trouver,
De crainte que celle que j'aime
N'en vint à m'envier le Plaisir de resver.
Si c'est moins que la jouissance
C'est un peu plus que l'Espérance,
Pour qui n'a pas plus c'est un bien.
N'en parlés donc pas et pour cause,
Ce bien à vray dire est un Rien,
Mais un Rien en amour est pour moy quelquechose.

Je seray très flaté si mes deux actes amusent quelques instants La divine Emilie et s'ils luy font souhaiter que je fasse le troisième.

Offrés ces Essais de mes veilles
Aux regards autheurs des merveilles
Des beaux lieux que vous habités.
Je puis croire mes vers dignes d'estre chantés
S'ils savent plaire à ses oreilles.