ce 10 novembre 1733
Vous m'exhortez en vers, Mon cher ami, d'en faire à mon tour.
Vos raisons sont si bones qu'elles me persuadent et vos vers sont si bien faits qu'ils me découragent, mais ce n'est pas la seule chose qui contribue à cette inaction apparente où je suis depuis trois mois. Cepandant j'ay fait un autre plan pour ma tragédie, que je n'ay quittée que parcequ'il s'en est présentée une qui m'a paru plus singulier et plus interressante. Je vous en parleray à la première fois, que je vous écriray. Le plan en est tout fait. Mr de V. lui même est fort content de l'intérest et de la position qui constituent les deux premiers actes. Elle ne doit et ne peut estre qu'en trois. Il dit que si je puis rendre le troisiemme aussi touchant que les deux autres je feray quelque chose de bien neuf. C'est une tragédie bourgeoise que j'ay fondée sur un espèce de conte bleu que m'a fait mdme Duchatelet. Je suis persuadé qu'on est las au théâtre françois de la dureté des tirans et de la fierté des princesses, des vers guindez et des chapeaux de plumes, qu'il ne s'y agit pas tant de faire paroitre des rois que d'exprimer des passions.
Si le chagrin d'apprendre que ma mère et ma sœur sont dans la dernière misère ne m'avoit empêché de travailler, illy auroit un acte de ma pièce fait. Leur malheur fait les trois quarts du mien.
Vous voyez mon cher ami que je donne encore signe de poésie et vous le voyez au moins à la tournure de ces vers qu'a l'orgueil qu'ils expriment.