à Ferney en Bourgogne 20 may 1761
En qualité de bon bourguignon Monsieur et presque de francomtois, je dois joindre mon petit tribut de joye, et d'acclamations et de compliments qui ne sont pas du bout de la plume, mais du cœur, à tous ceux qui sont adressez de touttes parts à votre aimable et respectable famille.
Vous voylà trois premiers présidents. Je suis fâché de n'avoir point encor de procez. Je n'en ay qu'avec l'air qui est toujours troublé du vent du nord, avec la terre qui ne répond pas à mes travaux, avec l'eau que la sécheresse a tarie; et pour completter les quatre éléments, je n'ay plus de feu dans les veines.
J'ay imaginé pour me réchauffer d'imprimer les œuvres du grand Corneille avec des nottes pour l'instruction des amateurs, des autheurs, et des étrangers. L'académie française a envie de donner à L'Europe des auteurs Classiques. Je commence par celuy qui a commencé à rendre notre langue respectable. J'ay proposé que le profit de L'édition fût pour l'héritier de ce grand homme qui est dans la misère; l'idée a été reçue avec acclamation par l'académie et par tout Paris. L'édition aura l'honneur d'être faitte dans votre ressort. Je me flatte que cette entreprise aura votre approbation, et celle de Mr de Ruffey. Je serais trop flatté de mettre la première pierre à cet ædifice en votre présence et sous vos auspices. Mr de Ruffey m'a fait entrevoir Monsieur un bonheur que je désire plus que je ne l'espère; il disait qu'au mois d'aoust je pourais répéter après Virgile, amat bonus otia Daphnis — ipsi lætitia voces ad sidera tollunt — intonsi montes. Ma chaumière n'est pas digne de vous recevoir, mais mon cœur est digne de vous rendre ses hommages. Je vous les renouvelle de trop loin avec le plus tendre respect.
Voltaire
Permettez moy de présenter mes respects à monsieur votre fils.