1731-02-12, de Pierre Robert Le Cornier de Cideville à Voltaire [François Marie Arouet].
Bien est'il vray, quand vintes sur ces bords
Où le grand Rol bastit ses premiers forts,
Que vismes luire en nostre Normandie,
Ce feu, ce Dieu, vostre aimable génie,
Qu'il y brilla mesme à l'ombre des bois,
Que l'on y vit au sons de vostre Lyre
Danser Silvains et Nymphes qu'elle attire,
Et que j'osay m'y mesler quelquefois.
Embouchiés lors l'héroïque Trompette,
D'une voix masle, apreniés aux Echos
A répéter le nom de nos héros,
Quand un beau jour me trouvant en cachette
Tout occupé du souci d'ajuster
De main novice une fresle musette,
Par passetemps voulustes écouter
Le foible essay de simple chansonette,
Daignastes mesme un peu m'encourager,
Comme on a vu sous l'habit de Berger
Chés Admetus, le Dieu de l'harmonie
Se rabaissant au soin vil des troupeaux
Dire aux Bergers choses de Bergerie
Et leur aprendre à joindre les Pipeaux.
Bien est'il vray, mon Esprit combustible
S'aprocha lors de ce brandon sacré
Dont par vos soins le Pinde est éclairé,
Le feu s'y prit, mais vent de Nord nuisible
L'a presque éteint par soufle enfroiduré.
Or permettés qu'encor se communique
Ce doux rayon de flame simpathique,
Daignés percer nos brouillards ténébreux;
De vostre Esprit la source si féconde
Ne peut tarir en prodiguant ses feux,
Pour éclairer l'immensité du Monde
Le Dieu du jour n'en est moins lumineux.
Je vous diray qu'ouvrant l'Epistre vostre
Encens subtil à ma teste est monté,
Qu'au mesme instant me suis semblé tout autre
Et que pourois en estre un peu gasté,
Si que d'uni, de rond, et de bon homme
Qui n'eut avant seulement troublé l'eau,
Me rendés vain, enflé, si fol en somme
Que m'estimant l'Adon, le jouvenceau
Des Doctes soeurs, crois grifonnant ces pages
Avoir dormi sur le sacré coupeau;
C'en est le bout de songes si peu sages,
Voyés sur nous ce que peut vanité,
Combien en nous son yvresse est étrange,
Et jusqu'où va le venin de Loüange.
Je n'en veux moins qu’à l'immortalité;
Et quand Léger y volés à grand erre
S'acroche à vous sous nom d'amitié,
Mon Esprit lourd et sait quitter la Terre
A qui son poids l'avoit par trop lié;
Il vous écrit, Epistre il vous dédie,
A me répondre amitié vous convie,
Dans vos beaux vers vous enchassés mon nom,
Or sentés bien qu'elle gloire infinie
M'en va suivant, en mainte édition
Ou sera faite exacte mention
De tous vos vers, divine Liturgie,
Missel tant lû par Prestres d'Apollon,
Mon nom écrit de main de tel Poëte
Vivra toujours, car pareille étiquette
Chés nos neveux est un sûr passeport
Contre L'oubly du Temps et de la Mort.
Mais cependant qu'audessus des orages
Vous franchissés les Ecüeils et les mers,
Que vostre voix en étrangères Plages
N'est étrangère, et que sur tous rivages
Cigne éclatant vous planés dans les airs,
Promettés moy, plus soigneux que Dedale
De garantir de chute et de scandale
Par examen mes trop débiles vers.
Si aprés ma muse audacieuse
Vouloit passer quelque mer orageuse
Veillés au sort de vostre compagnon
Et que jamais en la rendant fameuse
Il ne vous perde et Luy donne son nom.