aux Délices 4 juin [1756]
Revenu chez vous monsieur mon premier soin est de vous dire combien j'en suis aise.
Monsieur votre frère contribue plus que jamais à me faire aimer nos Délices, et je suis bien sûr que si je vis je renoncerai aux maisons de Lausanne et de Rol. Touttes les nouvelles de ce monde augmentent mon goust pour la retraitte. Je ne voi que des gens qui ne savent ce qu'ils veulent sur mer et sur terre. Pour moy je sai très bien ce que je veux. Ce serait quelques bouteilles de bon vin de liqueur, comme vins d'Espagne etc. à votre choix, car notre famille augmente et la malade du grand docteur nous arrive, et elle n'arrive pas seule. Je voudrais encor force sucre. Je voudrais une centaine de livres de bougies si l'on pouvait en trouver cette quantité à la fois à un prix raisonable. Je voudrais quatre paires de beaux flambaux d'argent haché. Je voudrais un baril d'huile très commune pour vos jardiniers qui mangent touttes vos salades, et qui ne méritent pas de l'huile fine. Voylà bien des désirs et je suis honteux de m'adresser à vos bontez pour tant de bagatelles. Vous m'avez acoutumé à la facilité avec la quelle vous daignez entrer dans ces petits détails quand il s'agit de faire plaisir à vos amis. Pardonez moy donc, et secourez moy de vin, d'huile, de sucre, de flambaux d'argent haché dans vos moments de loisir et de bienfaisance.
Voicy deux lettres de change mon cher correspondant que je vous prie d'ajouter à nos capitulaires, et une lettre pour l'ami Tiriot que je vous prie de faire mettre à la poste pour épargner le port de Geneve à Lyon, car l'ami Tiriot n'est pas riche.
Adieu. Madame Denis vous embrasse, et moy aussi, de tout notre cœur.
V.