1756-06-19, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Robert Tronchin.

D'un côté mon cher monsieur les paris sont ouverts que M. le maréchal de Richelieu sera mené en Angleterre par l'amiral Bing, de l'autre j'ay profétisé que port Mahon sera pris.
Je crois qu'il y aurait une fortune à faire à parier contre les anglais. Mais ce qui me fait le plus de peine, c'est que madame de Fontaine trouve avec raison ma maison mal meublée. Point de didet ô ciel, a t'elle dit. Elle n'est pas encor acoutumée aux mœurs sévères et mal propres de la ville de Calvin. Madame Denis, en qualité de bourgeoise du territoire, avait jusqu'à présent négligé cette immodestie, mais le luxe enfin l'emporte à l'arrivée d'une parisienne délicate. Nous devrions selon touttes les règles nous adresser à une dame. Jamais un grand négotiant n'a été chargé de pareilles commissions, mais enfin vous êtes galant, vous êtes notre ami, et votre intention est qu'on soit propre aux Délices.

Daignez donc mon cher correspondant ajouter à vos envois trois bidets bien garnisà touttes vos faveurs. Il ne vous en coûtera pas plus d'ordoner qu'on y joigne six flambaux moyens d'argent haché.

Que de requétes importunes! Flambaux d'argent haché, caffé, sucre, bougie, clous dorez, et sur le tout des bidets! Encor s'il venait des retours de Cadix! Mais rien. On est en arrière à Cadix comme à port Mahon. Les anglais n'entendent plus raison. Ils me reprochent à Londres d'être trop français et de n'aimer pas assez leur poésie. La tête leur tourne. Ils seront battus.

J'oubliais de vous dire qu'il vous viendra une caisse de tableaux pour nos Délices. J'espère que dans quelques jours le docteur et la Bat coucheront à Monrion. Je serai bien glorieux d'avoir hébergé le docteur.

Je vous demande pardon, et je vous embrasse

V.