1757-10-12, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Robert Tronchin.

Je laisse là les rois pour cet ordinaire mon cher monsieur, et je me borne à mes petits besoins dont vous m'avez permis de vous faire l'exposé et aux quels vous subvenez si humainement.
Il faut que vous sachiez que tous les bons vins de liqueur que vous m'avez envoyez seront bus à Lausane, et qu'il ne me restera rien pour le petit hermitage auprès de Geneve. Si donc vous trouvez en votre chemin et à votre loisir des vins de liqueur qui vous plaisent et dont vous vouliez me faire part, je vous supplierai de les adresser à mr Cathala, me flattant qu'il voudra bien les garder jusqu'à mon retour. Il ne m'importe de la quantité, pour vu qu'ils puissent se garder et à l'égard du temps, vous en êtes le maître pendant tout l'hiver. Mais il y a un objet bien plus important. Mr le docteur Tronchin m'ordonne plus de casse, qu'il ne me permet de vin. Au nom d'Hipocrate ne me laissez point manquer de casse. Ayez la bonté monsieur de me recommander à votre droguiste. Je ne dis pas à votre apoticaire, car vous n'en avez point. Faittes moy avoir vingt livres de casse en bâton pour mon hiver. Ce n'est pas trop. Les vins de liqueur sont pour mes convives, et la casse pour moy. Les tapis d'Aubusson peuvent plaire à made Denis, mais à moy il faut plus de casse qu'au malade imaginaire. Les affaires de la Saxe iront comme elles voudront, mais je ne peux vivre sans casse.

Après avoir traitté cette importante matière, je pourais vous dire que j'attends la confirmation du voiage prétendu du comte de Gotter, et même de celuy de madame la markgrave de Bareith. Mais la casse absorbe touttes mes idées. Bon soir mon cher correspondant. Je vous embrasse du meilleur de mon cœur.

V.