1759-05-12, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Robert Tronchin.

Vraiment Monsieur, il ne s'agit point ici de bagatelles.
Il n'y [est] point question d'environ deux ou trois cent mille malheureux francs de France, ni de nouveaux domaines à payer. Il s'agit de casse; vingt livres de casse sont un objet plus important pour moi que vingt mille livres d'annuïtés ou de billets de Lotterie; je me plaindrai à Monsr Tronchin le docteur, il lavera furieusement la tête à l'infâme droguiste qui a envoyé des bâtons de Casse vuides et pourris. De bonne casse est bonne, dit Molière, mais de mauvaise casse est une chose affreuse. N'allez pas croire au moins mon cher ami que je m'en prenne à vous, je vous rends trop justice; je sçais bien que vous ne vous connaissez point en casse aussi bien que moi, je sens avec joye ce petit avantage que j'ai sur vous.

A L'Egard des Juments dont j'ay eu l'honneur de vous parler, je vous réïtère ma très humble prière, attendu que je ne ferai jamais de reproche à vôtre marchand de chevaux, comme j'en fais à vôtre apoticaire; je ne suis point pressé de mes deux juments, elles seront bien reçües en May, en Juin, en Juillet, en quelque temps qu'elles viennent, et quand elles arriveront bridées, embouchées, avec harnois de carosse et harnois de trait elles seront mieux reçües encor, le tout à vôtre comodité, mon cher Monsieur, et à condition que vous m'avoüerez que je suis le plus fatigant de tous vos correspondans; on dit que la grande affaire du petit Boudon ne va pas trop bien. On applaudit aujourd'hui aux opérations de finances, mais quand les bourgeois de Paris et de Lyon se verront obligés de payer la taille vous verrez qu'ils jetteront les hauts cris.

Le Roy de Prusse me mande du 22 avril, qu'il croit avoir ruiné les projets des autrichiens pour toute la campagne. Il y a grande aparence qu'en effet on leur a détruit d'immenses magazins.

Les colimassons détruisent tout aux Délices. Les rois et limassons font grand mal cette année.

Je vous embrasse.

V.