1759-05-20, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Robert Tronchin.

Selon les statuts de l'académie de Lézine je renvoye mon cher correspondant les bâtons de casse vides et moisys à Mr l'apoticaire; il faut que ce soit un digne homme et qu'il ait véritablement des entrailles, puisqu'il en agit si bien avec les miennes.
Avoüons que la guerre est un horrible fléau. Elle occasione des banqueroutes de 1800m£; elle fait renchérir la casse audelà du double; les constipez doivent faire des voeux pour la paix; j'ai vû la casse autrefois à 16 s. lalt. C'était alors qu'il y avait plaisir à être malade. Je viens d'acheter une bonne jument de rencontre. Si jamais il vous en tombe une sous la main, mon cher monsieur, de 4 pieds 10 pouces jusqu'à 5 de hauteur, jeune et forte, elle sera très bien reçüe avec son équipage de chariot, elle pourait même apporter avec elle une paire de harnois de volée avec sa bride. Elle pourait même encor apporter une jolie selle, bride, bridon et pompons. Vous ne devineriez pas pour qui, c'est pour moi. Je veux monter à cheval. J'ai un petit cheval qui n'est guères plus gros qu'un âne, et qui servira à favoriser la circulation du sang du preneur de casse.

Tout cela n'est pas fort cher et nôtre académie n'aura point de reproche à me faire; je pense qu'il est toujours bon d'avoir cent aunes de galons au moins, pour les habits de livrée; je suis fort pour les provisions.

On murmure beaucoup d'une grande bataille gagnée par le prince Henry le 8 May auprès de Culmback; mais il faut toujours attendre le sacrement de confirmation.

Bon jour mon cher ami. Je vous embrasse du meilleur de mon cœur. J'aprends que notre pauvre Gauffecourt perd son affaire des sels.

Si sal evanuerit, in quo salietur?

V.