1738-07-07, de Gabrielle Émilie Le Tonnelier de Breteuil, marquise Du Châtelet-Lomont à Pierre Louis Moreau de Maupertuis.

Puisque v͞s n'êtes pas à Cirey Monsieur ie suis bien fâchée que v͞s ne soyés pas à Paris.
V͞s m'eussiés été bien nécessaire à l'académie. V͞s saués que mr de V. auoit escrit à mr de Reaumur et à mr du Feÿ p͞r leur mander que i'étois l'auteur de la pièce numéro 6 et p͞r les prier de la faire imprimer. Sur cela mr de Reaumur répondit à mr de V. vne lettre pleine de politesse où il lui marquoit, il faut absolument que le public sache que parmi les pièces qui ont concouru p͞r le prix proposé sur la nature du feu, il y en a vne d'une jeune femme, et l'autre du plus grand de nos poètes. Il ajoutoit que l'académie s'étoit fait vne loy de ne point imprimer les pièces qui n'auoient point été couronées à moins que les auteurs n'y consentissent. Sur cela j'escrivis vne lettre à mr de Reaumur où ie lui marquois combien ie me tiendrois honorée que l'académie voulût bien imprimer mon ouvrage. Mr de Reaumur, en le proposant à l'académie, lut l'article de ma lettre où j'en parlois, et l'académie eut la politesse de décider que mon mémoire et celui de mr de V. seroient imprimés à la suite de ceux qui ont partagé le prix, auec un auertissem͞t conçu en ces termes, les auteurs des deux pièces suiuantes s'étant fait connoitre à l'académie et ayant désiré qu'elles fussent imprimées l'académie y a consenti auec plaisir quoiqu'elle ne puisse aprouuer l'idée que l'on donne dans l'une, et l'autre de ces pièces de la nature du feu, et elle y a consenti parce que l'une et l'autre suposent vne grande lecture, vne grande connoissance des meilleurs ouurages de phisique, et qu'ils sont remplis de faits, et de vüe. D'ailleurs le nom seul des auteurs est capable d'intéresser la curiosité du public. La pièce numéro 6 est d'une dame d'un haut rang, de m e la m. du Chastellet, et la pièce numéro 7 est d'un des meilleurs de nos poëtes. Mr ie v͞s le transcris mot à mot. Mr de Reaumur a accompagné cela d'une lettre très galante. Ie suis assurément mieux traitée que ie ne mérite, mais ie v͞s auoüe que i'aurois été plus jalouse de ces mots qui ont concouru que de tout le reste et ie m'i attendois puisqu'ils étoient dans la première lettre de mr de Reaumur et que d'ailleurs c'est la vérité.

Cependant v͞s croyés bien que ie n'ay fait que remercier, mais i'ay demandé en grâce qu'on ne me nomast point. I'ay mille raisons p͞r l'exiger, et ie crois deuoir ce respect au public. I'espère que l'académie m'aprouuera de le désirer, et ne me refusera pas. Il est bien triste que cela se passe pendant que v͞s estes à St Malo; mais quand en reuenés v͞s donc, quand v͞s vera t'on dans le lieu du monde où l'on v͞s aime, et où l'on v͞s estime le plus? En vérité mr de V. et v͞s deuriés v͞s réünir p͞r terasser le cartésianisme. Ie vous auoüe que j'ay été bien affligée d'une lettre que mr de Reaumur a escrit à mr de V. où il lui parle des grandes obligations que la phisique a au p. Malbranche de lui avoir fait connoitre tant d'ordre de tourbillons diférens. En vérité, cela est bien triste, quod si sal evanuerit in quo salietur. Cela devient vne affaire de parti en France, on ne se croit bon citoyen que quand on croit aux tourbillons. Et l'abé Demolière, qu'en dirons nous, qui croit avoir trouué La Cause méchanique de l'attraction, et qui est loué dans tous les journeaux, et mr de Reaumur, qui dit qu'il existe vne attraction dans la nature puisqu'on la voit dans l'aiman, mais qu'il croit impossible qu'elle existe sans un fluide quelconque qui en soit la cause? Donnés leur vne vue de ces démonstrations que v͞s saués faire, afin qu'il n'en soit plus parlé. Mr de V. v͞s dit les choses les plus tendres. V͞s aurés incessament la seconde Edition de son liure. V͞s deuriés bien la venir lire icy. M͞e de Richelieu l'a lu, et l'entends très bien, elle a bien de l'esprit, et ie crois l'esprit qu'il faut p͞r entendre ces sorte de matières. J'attens auec impatience les réponses à mes queries, mais mon soleil deuroit bien se raprocher de moi. Adieu, je v͞s attens auec l'impatience de quelqu'un qui sent le prix de votre comerce et de votre amitié.