1738-09-18, de Gabrielle Émilie Le Tonnelier de Breteuil, marquise Du Châtelet-Lomont à Charles François de Cisternay Du Fay.

J'ay reçu votre lettre mon aimable philosophe et la réponse de mr Demairan qui y étoit jointe.
Puis que v͞s l'aurés cet automne chés v͞s ie v͞s suplie de le remercier de ma part de ses instructions. Ie ne veux pas pousser mes questions plus loin crainte d'abuser de son tems et de sa patience, ie v͞s suplie seulem͞t de lui dire 1º qu'il me rend justice quand il entend par plus court chemin, le chemin du plus court tems, 2º que ie réduis la dispute à ceci, les rayons en trauersant l'atmosphère décriuent ils vne cicloyde, ou non? S'ils décriuent une cicloyde, n'est il pas nécessaire qu'ils aillent de la couche supérieure de l'atmosphère à la couche inférieure par le chemin qu'ils parcourent dans le moins de tems, puis que la cicloyde est la ligne de la plus vite descente oblique? 3º mr de Bernouilly a démontré dans l'endroit cité qu'ils décriuent cette courbe donc &cc. Voilà p͞r le fait, et p͞r justifier la Cause finale de Fermat, sans entrer encore dans la raison phisique de ce phénomène.

Quant à cette raison phisique, ie dis 1º elle étoit inexpliquable à Descartes et à Fermat et à tous les philosophes qui n'ont pas connu l'attraction, et il y auoit une contrariété visible entre cet effet et les loix de la méchanique. 2º voici coment l'attraction dénouë ce noeud. Le rayon accélère réellement son mouuement vertical en passant de l'air dans le verre, mais il l'accélère parce que le verre l'attire par sa masse et non parce que le verre ou tout autre milieu plus dense est de nature à se laisser pénétrer plus facilement que L'air, et cette attraction du verre est indépendante de sa contexture intime, de l'arangem͞t de ses pores &cc, en sorte que le verre seroit plus dificile à trauerser sans l'attraction, et est trauersé plus facilement, c'est à dire plus vite par l'attraction. Voilà tout ce que i'en sais et dans quoi ie me renferme. Dureste ie puis m'estre trompée dans la raison des sinus et des vitesses, mais s'ils sont en raison renuersée des vitesses i'ay donc raison dans le fons, car le sinus Etant plus petit dans le verre, la vitesse y est donc plus grande. Si mr de Mairan a du tems à votre campagne ie le prie de me répondre uniquem͞t à ceçi qui est la seule dificulté qui m'arête, les rayons en trauersant l'atmosphère décriuent ils vne cicloyde, et s'ils la décriuent leur niés v͞s qu'ils aillent par le chemin du plus cour tems, et s'ils vont par le chemin du plus court tems, coment conciliés v͞s la contradiction que v͞s trouués entre la raison des sinus et des vitesses et le plus court tems réellem͞t employé?Car ce sont des instructions que ie lui demande, come de raison. Du reste le sistème que i'espère qu'il abandonnera c'est le sistème des tourbillons en général, que ie vois auec douleur qu'il protège encore. C'est une maison qui tombe en ruine et que l'on Etaie de tous côtés. Ie crois qu'il seroit plus prudent d'en sortir. Il doit auoir reçu vne lettre de mr de Voltaire, et ie me flatte bien mon aimable philosophe que v͞s lui dirés le cas infini que l'on fait de lui à Cirey. Ie suis bien fâchée que v͞s alliés à la campagne et que ce ne soit pas icy. V͞s deuriés bien v͞s aranger p͞r n͞s donner dans vne autre année vne huitaïne pendant les vacances. Ie v͞s félicite d'auoir si bonne compagnie chés v͞s pendant celles cy, et ie sens bien que ce n'est pas le tems de v͞s proposer d'aller ailleurs, mais ie v͞s auertis que v͞s aués vn procès de plus à craindre si v͞s ne me rendés pas mr Clairaut p͞r le 15 octobre. Il m'a donné sa parolle, et il n'i a que v͞s capable de l'y faire manquer. V͞s qui le possédés toute l'année v͞s ne serés pas assés injuste p͞r me l'enleuer. V͞s aurés dans mr Demairan vne bonne consolation. I'espère que dans le loisir de la campagne v͞s donnerés quelquefois de vos nouuelles aux personnes du monde qui sont le plus sensibles aux charmes de votre comerce. Mr de Voltaire dit qu'il souscrit à toutes les louanges que l'on peut v͞s donner, mais que celles dont v͞s lui parlés ne sont pas de lui, p͞r moi ie les en trouue digne.