1732-10-30, de Voltaire [François Marie Arouet] à Pierre Louis Moreau de Maupertuis.

Etant à la cour Monsieur sans être courtisan, et lisant des livres de philosophie sans être philosophe, j'ay recours à vous dans mes doutes, bien fâché de ne pouvoir jouir du plaisir de vous consulter de vive voix.
Il s'agit du grand principe de l'attraction de mr Newton. A qui pui-je mieux m'adresser qu’à vous monsieur qui l'entendez si bien, qui travaillez même sur sa philosophie, et qui êtes si capable ou d'en confirmer la vérité ou d'en démontrer le faux? Je vous envoye mon petit mémoire que j'aurois fait très long pour un autre, et que j'ay fait très court pour vous, bien sûr, que sur le seul énoncé vous supplérez à tout ce qui y manque. Je vous demande pardon de mon importunité mais je vous suplie très instament de vouloir bien employer un moment de votre temps à m’éclairer. J'attends votre réponse pour savoir si je dois croire ou non à l'attraction. Ma foy dépendra de vous, et si je suis persuadé de la vérité de ce sistème je le suis de votre mérite je serai assurément le plus ferme nevtonien du monde.

J'ay l'honeur d’être monsieur avec toute l'estime que je vous dois,

Votre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire

Si Le même pouvoir fait graviter les corps sur la terre, et retient les globes célestes dans leur orbite, si ce pouvoir agit en raison renversée des quarrez des distances, le sistème de l'attraction de mr Newton doit être admis, et l'on doit regarder ce pouvoir de gravitation, d'attraction (quelle qu'en puisse être la cause) comme le principal ressort dont dépend la mécanique de l'univers.

Si ce pouvoir agit en raison renversée des quarrez des distances Le même corps qui dans sa chute sur la surface de la terre parcourt environ 54000 pieds en une minute, ne doit en parcourir que quinze pieds dans la première minute, s'il tombe de la hauteur de la lune. Il ne s'agit donc que de savoir s'il est vray en effet qu'un corps tombant de l'orbite de la lune sur la terre parcourroit quinze pieds seulement dans la première minute de sa chute.

Le cercle que décrit la terre en tournant sur son axe en vingt trois heures cinquante six minutes est de 123,249,600 pieds.

Donc elle décrit dans une minute 75800 pieds. La lune éloignée de la terre d'environ soixante demy diamètres et faisant sa révolution autour de la terre en moins de trente jours va du double plus vite que la terre, donc elle parcourt dans une minute plus de cent cinquante et un mille six cent pieds, en prenant son mouvement moyen.

Il reste donc uniquement à examiner si le même corps qui parcourt plus de 151600 pieds par minute en décrivant son orbite, ne tomberoit réellement que de quinze pieds dans la première minute s'il étoit abandonné au seul mouvement de la pesanteur et s'il perdoit le mouvement de projectile qui l'entraine d'occident en orient. Pour le prouver on dit

la lune B s'i elle ne suivoit que sa direction d'occident en orient seroit arrivée au point E au bout d'une minute, le pouvoir de la force centrale l'a attirée au bout de cette minute en f

Or tomber de E en f, c'est comme si elle tomboit de B, en D, et si elle tomboit de B, en D, continue t'on, elle ne parcourroit dans cette minute que quinze pieds.

Je demande maintenant comment on démontre qu'elle ne tomberoit que de 15 pieds. Esce par la proportion du rayon qui part de la terre A à la lune B avec le sinus f.B? esce par quelqu'autre raison?

Si on ne peut pas me faire voir que la lune en tombant de B en D ne décriroit que quinze pieds je ne dois certainement pas admettre le sistème de mr Newton.

Peutêtre par un seul coup d’œil sur la table des sinus on peut éclaircir cette difficulté.