à Cirey ce 26 [July 1738]
Depuis feu st Tomas, il n'y a personne de si incrédule que vous.
Ne croyez point aux tourbillons, à la terre élevée aux pôles, confondez les erreurs de vos confrères, mon grand philosophe, mais pour dieu croyez les faits, quand votre amy et votre admirateur vous les articule. L'article de Saturne ne m'apartient pas plus qu'à vous dans ces élémens de Neuton et je trouve cette graine de satellites formant un anneau, tout aussy ridicule que cette pépinière de petites planettes dont on s'avise de composer la lumière zodiacale en la comparant encor plus ridiculement, à mon gré, avec la voye lactée. J'ignore encor quel est le matématicien qui s'est chargé de cette besogne. Tout ce que je sçai c'est que les libraires ont fait coudre pour de l'argent cette étoffe étrangère à l'étoffe dont je leur avois fait présent. Les libraires sont des faquins et je ne sçai que dire du savant mercenaire qui a copié pour de l'argent tant d'acta eruditorum, et d'anciens mémoires de l'académie. Je suis obligé de ne me point brouiller avec luy; 1º parce qu'il ne faut point se battre contre un masque, quand on est à visage découvert, 2º parce que cela feroit une querelle indécente et ruineuse pour le parti de la vérité. Mais j'espère un jour réparer ses torts.
Madame du Chastelet ne vouloit pas m'en croire quand je luy disois que c'étoit une très grande erreur de ma part d'avoir voulu faire quadrer les proportions de la chute des corps découvertes par Galilée, avec la raison inverse du quarré des distances de Neuton. J'avois bau luy dire que ces deux véritez ne découloient point l'une de l'autre, que je m'étois trompé. Il a fallu enfin que l'oracle parlât pour qu'elle se soumit.
J'entends toujours dire qu'un grand party subsiste contre vous, mais j'espère qu'il ne subsistera pas longtemps. Vous avez reçu une lettre du prince Royal. C'est le seul prince, je croi, digne de vous lire. On dit que l'empereur de la Chine en est fort digne aussi; mais je vous prie n'allez point à la Chine, Made du Ch. a retranché cela, devinez le.
Vous devriez bien d'un coup de votre massue d'Hercule écraser ces fantômes de tourbillons que je n'attaque qu'avec mes foibles Rosaux. Voicy je croi, si vous voulez m'aider deux bons petits coups aux tourbilloniers.
Premièrement ayez la charité de me dire quel est l'honnête homme qui a découvert que le diamètre D est a cet arc A, comme cet arc A, est au sinus verse C, et où se trouve cette démonstration? Ensuitte ce cercle étant la terre, l'espace C étant la chute des corps dans la première seconde de 15 pieds, l'arc A parcouru par la terre dans son mouvement journalier de rotation sur elle même étant dans une seconde d'environ 1350 pieds, le diamètre étant de pieds ne se trouve t'il pas à fin de compte, que D:A::A:C, et DC=A2, et D͞C=A? Il se trouve que A n'est plus environ 1350 pieds, mais 17 fois 1350 pieds.
Donc si le tourbillon chimérique de matière subtile existe, il parcourt l'arc A 17 fois plus vite que le grand cercle de la terre ne parcourt ce même arc.
Or il est impossible je crois qu'un fluide qui emporte un solide l'emporte 17 fois moins vite que ce fluide luy même ne tourne, donc ce prétendu tourbillon ne peut être cause de la chute de 15 pieds dans le sinus verse, donc . . . .
Voycy l'autre coup de fouet au sabot des tourbillons.
Les longueurs des pendules sont entre elles mêmes les quarrez des temps de leurs vibrations. Si sur la surface de la terre 3 pieds, huit lignes donne une seconde, le diamètre de la terre donne une heure, 24 minutes et plus, & la terre tourne à peu près en 17 heures et 17 fois 24 minutes et ce plus; donc la pesanteur qui fait l'oscillation des pendules ne peut venir sur la surface de la terre d'un fluide circulant qui devroit faire aller nos pendules à secondes, 17 fois plus vite qu'elle ne vont, donc . . . . Mettez moy cela au clair, je vous prie, dites moy si j'ay raison et ce qu'on peut répondre à ces arguments.
Dites moy ce qu'on peut répondre aux comètes qui traversent l'espace en tout sens et qui, allant plus vite que les planettes, ne peuvent être portées par les fluides qu'on suppose entrainer les planettes. Que répond on à l'impossibilité qui se trouve que ces torrents, comme vous dites, ayent à la fois des vitesses proportionelles aux distances du soleil et aux racines quarrées de ces distances? Que répond on à la résistance infinie qu'on éprouveroit dans le plein? au terrible argument qui prouve qu'un corps mû également dans un fluide d'égale densité, perd bientôt toute sa vitesse? à l'impossibilité qu'un tourbillon précipite à la fois dans le plein un corps de 13 pieds de haut en une seconde et ne puisse empêcher l'aller et le retour d'un pendule dans ce plein? à l'impossibilité qu'un fluide agisse à la fois en raison de la superficie et de la masse? à l'impossibilité qu'un fluide qui pousse des corps en mouvement puisse à la fois agir également sur tous les corps? à l'impossibilité que les planettes aillent plus lentement, précisément dans le temps qu'elles devroient aller plus vite?
Expliquez moy comment Mr de Reaumur peut dévorer ces incompatibilitez, dites moy comment des journaux peuvent louer des leçons de phisique, où l'on imagine de petits tourbillons avec un petit globule dur au milieu; dites moy si cela ne couvre pas de honte notre nation aux yeux des étrangers.
Dites moy si je ne suis pas bien importun, mais si mes questions le sont je vous prie que mon amitié ne le soit pas.
Vous voylà dans votre pays, où vous êtes prophète, mais si vous étiez à Cirey, vous seriez comme dit l'autre plus quam propheta.
J'ai eu l'honneur de faire porter chez vous rue st Anne deux exemplaires de la nouvelle édition des élémens de Neuton. Madame du Chastelet reçoit dans le moment votre lettre. Il est bien triste que vous alliez ailleurs quand votre personne est si nécessaire à Paris. Que deviendra la vérité? Les hommes n'en sont pas dignes, mais vous êtes digne de la faire connaître.
Si votre esprit sublime, vous permet d'aimer, aimez nous.
V.