1738-09-01, de Gabrielle Émilie Le Tonnelier de Breteuil, marquise Du Châtelet-Lomont à Pierre Louis Moreau de Maupertuis.

J'attendois de vos nouuelles avec bien de l'impatience Monsieur, car rien ne peut tenir lieu du plaisir de v͞s voir, que vos lettres.
Ie ne puis imaginer de raison qui puisse v͞s Empêcher de venir icy. Ie n'ay point murmuré que v͞s m'ayés préféré votre famille, mais si l'amitié peut décider vos pas, ie suis sûre qu'ils se tourneront vers Cirey, puisqu'il est bien certain qu'il n'i a point d'endroit au monde où l'on réünisse p͞r v͞s, tant d'amitié, et tant d'admiration. I'aprouue infinim͞t les conseils que l'on v͞s a donnés de ne point Entreprendre de voyage hors du royaume, mais i'aprouuerois bien plus que L'on v͞s conseillât de venir passer quelque tems icy, ie suis sûre que v͞s v͞s y plairiés, et c'est vn voyage si court, que pour peu que vos affaires v͞s rapelassent à Paris, v͞s y seriés en 24 heures. V͞s sentés bien que l'enuie Extrême que i'ay de v͞s posséder ne se paye point d'excuses vagues, et que ie ne croirai point que v͞s ayés eü enuie d'y venir si v͞s n'i venés point.

J'espère que v͞s me ferés part quelque jour des sujets qui ont occupé votre Extase philosophique. V͞s estes le sr Jean de Neuton, et ie v͞s crois au véritable st Jean, come l'autre Etoit à Neuton. Je comprens parfaitement à présent votre raison de préférence p͞r la loy d'attraction ¹⁄DD mais ie n'entens pas trop la réponse que v͞s faites à l'auantage d'uniformité qu'auroit la loy D de se conseruer la même en dedans des sphères et au dehors, en disant, que come les dernières parties de la matière sont insolubles L'uniformité que se conserue en dedans ne doit point être comptée, car ie conçois bien qu'elle ne le doit pas être p͞r les premiers corps de la matière, mais ne subsiste t'elle pas réellement dans les sphères qui sont formées de ces premières parties, et cet auantage n'est il pas réël au dedans de ces sphères, et n'est il pas constant que La loy D conserue toujours cet auantage sur la loy ¹⁄? Voilà la seule chose qui m'embarasse à présent. Au reste ie suis ravie que v͞s croyés les dernières parties de la matière insolubles, car c'est vne des conjectures phisiques à laquelle ie suis la plus attachée.

I'ay relu ces jours passés avec grande attention le mémoire de mr de Mairan donné en 1728, car les loix du mouuement m'occupent toujours, et m'enbarassent souuent beaucoup. J'oserai v͞s confier que ie crois auoir trouué dans ce mémoire vn grand paralogisme. V͞s sentés bien que ce n'est qu'en tremblant que j'ose penser qu'un homme de l'académie a tort, et sans l'abé Demolieres ie v͞s croirois tous infaillibles. Voicy cependant Le fait. Mr de Mairan dit, numéro 39 de son mémoire, que ce n'est point par les espaces parcourus, les parties de matière déplacées, ni les ressorts tendus, qu'il faut mesurer sa force, mais par les espaces non parcourus, les parties de matière non déplacées, les ressorts non aplatis, &cc. La raison qu'il en aporte c'est que le corps qui remonteroit auec 2 vitesse par vn mouuement vniforme à la hauteur 4 dans la première seconde, ne remonte qu'à la hauteur 3 parce que la grauité qui le retire en bas lui fait perdre 1 dans cette première seconde. Dans la 2e seconde le corps auec vn de vitesse qui lui reste remonteroit d'un mouuem͞t vniforme à la hauteur 2 et il ne remonte qu'à hauteur 1. Donc ses pertes sont 1 dans la première seconde et vn dans la 2e, c'est à dire en raison de la simple vitesse qui est deux, mais il me semble que mr de Mairan n'a pas songé que come dans le mouuem͞t vniforme on fait abstraction des obstacles, cet espace 4 que le corps eût parcouru dans la première seconde d'un mouuem͞t vniforme n'est point la mesure de sa force, mais celle de son mouuem͞t, car si le corps après auoir parcouru quatre toises par secondes pendant cent ans, venoit à rencontrer des obstacles à déranger il agiroit sur eux au bout de ce tems avec la même Energie qu'il y eut agi dans le premier instant de son mouuem͞t. L'espace parcouru sans obstacle surmonté n'est donc point la mesure de la force, mais ce qui démontre ie crois la fausseté de la conséquence qu'il tire de ce raisonnement, c'est que cette même réduction n'a plus lieu quand il s'agit des obstacles surmontés, car ie crois quand mr de Mairan dit, qu'un corps qui ferme 3 ressorts dans la première seconde et l dans la 2e et qui consume sa force en les fermant, en eût fermé 4 dans la première et 2 dans la 2e par vn mouuem͞t vniforme, il me semble dis je qu'il dit vne chose entièrem͞t contradictoire, et il me paroit qu'il est aussi impossible qu'une force capable de fermer 1 ressort en ferme six, quelque suposition qu'on fasse, qu'il est impossible que 2 ⨉ 2 = 6 car si l'on supose avec mr de Mairan que ce corps n'aura consumé aucune force en fermant les 3 1ers ressorts, ie dis que ces 3 ressorts ne seront point fermés ou bien qu'ils le seront par vn autre agent; que si l'on dit au contraire que ce corps a consumé vne partie de sa force à fermér les 3 ressorts mais qu'il l'a recouurée ensuite, ie dirai alors que ce ne sera point la force suposée vniforme qui aura fermé les six ressorts mais la force primitiue jointe à vne force qu'on supose ajoutée et alors on sort visiblement de l'hipothèse, et par conséquent on ne prouue rien, sinon qu'un corps auec vne plus grande force surmontera plus d'obstacle, et c'est ce dont tout le monde conuient. Ainsi le raisonement de mr de Mairan qui pouroit d'abord séduire, porte sur ce faux principe que l'on peut suposer la force vniforme quoiqu'elle ait dérangé les obstacles qui doiuent la consumer en partie, de même que l'on peut considérer le mouuem͞t come vniforme quoique ce corps ait parcouru tout l'espace qu'il peut parcourir en vn certain tems, mais c'est ce qui ne peut être reçu même par voie d'hipotèse, car on ne peut suposer qu'une force reste la même, quoiqu'elle ait produit vne partie des effets qui doivent la consumer, sans suposer vne chose qui implique contradiction. Ainsi il est ie crois très faux que les matières non déplassées, les fibres non aplatis, &cc. soient la mesure de la force, et ie crois au contraire que ce sont les matières déplacées, les ressorts tendus &cc qui peuuent donner cette mesure. Au reste tout ce que j'énonce est tiré mot p͞r mot du mémoire de mr de Mairan, et c'est come si v͞s le lisiés. Ie v͞s prie de me mander ce que v͞s pensés de mon raisonement, car il doit être ou très juste, ou très absurde, et ie n'en sais pas assés p͞r sauoir si ie suis digne d'amour, ou de haine, mais il me semble en total que mr de Mairan seroit p͞r les forces viues, s'il vouloit se bien mettre dans la tête que les espaces parcourus sans obstacles surmontés, ne font point la mesure des forces mais c'est ce qu'il confond perpétuellem͞t et il me semble que l'extrême longueur n'est pas le seul défaut de son ouvrage.

I'ay lu auec attention toute l'épitre à mr de Fontenelle des dialogues d'Argalotti, et il n'i a point d'autre préface, mais ie n'y ay rien trouvé qui regarde la figure de la terre, ni votre voyage. Cela est peutêtre dans le 6e dialogue où il parle de notre monde planétaire, mais ie n'ay pas eü le tems de le lire tout entier auant de v͞s répondre, et en le parcourant ie n'ay rien trouué. Si v͞s voulés me mander la frase italienne cela sera plus court. Ie ne puis croire cependant que v͞s ne l'entendiés pas mieux que moi.

Ie crains bien que v͞s ne désaprouuiés mon mémoire, premièrem͞t il est trop long, d'ailleurs il est trop hardi, plein d'idées à moitié cuites, et très incorrect. Ie désirois que v͞s le lussiés auant l'impression parce que ie l'eus suprimé s'il v͞s eût déplu, mais ie comte si v͞s aués la patience de le lire que v͞s aporterés dans cette lecture tout l'indulgence dont elle a besoin. On ne l'imprimera que les vacances, et ie serois bien fâchée que v͞s fussiés encore à St Malo alors. Mr Algarotti est à Toulouse, et peutêtre à présent à Paris. Son liure est friuole, c'est vn singe de Fontenelle qui a des grâces. Le sixième dialogue est assés bien fait, le reste est diffus, et assés vide de choses. Du reste il poura réüssir aux toilettes, et ne pas être méprisé des gens qui connoissent mieux. L'enuie de donner vn rival aux Elémens de Neuton lui fera du bien. Mr du Ch. est à Luneuille p͞r quelques jours, Mr de V. v͞s fait les complimens les plus tendres. Votre philosophie me plait beaucoup, et si v͞s la mettés en vous serés le premier home public qui en ayés donné l'exemple, mais v͞s estes fait p͞r Exécuter les entreprises impossibles aux autres.

Toujours souuient à Robin de ses flûtes. Encore vn mot sur les forces viues. Il me semble qu'il y a vne objection invincible contre ces forces, c'est ce qui arriue à deux corps qui se choquent oppositiumt, et dont l'un a 1 de vitesse et trois de masse et l'autre trois de vitesse et vn de masse, car leur forces sont 3 et 9 et l'on peut rendre cette diférence aussi grande que l'on voudra, et cependant dans tous les cas de cette combinaison les corps restent en repos après les chocs. Ie sais qu'on répond à cela par vne plus grande introcession de parties du corps supérieur en force, mais come les actions sont mutuelles et contraires, et qu'elles commencent et s'achèvent en même tems, et qu'elles se soutiennent sans préualoir l'une sur l'autre pendant qu'elles l'exercent, il faut auouër, ou du moins j'auoue que le phénomène est très emb[a]rassant, mais ce qui m'embarasse le plus, c'est coment ie ferai p͞r v͞s demander pardon de cette grande lettre. I'en suis si honteuse que ie n'ose plus rien dire. Réponse promtem͞t ie v͞s prie sur ce qui concerne mr de Mairan particulièrement.