J'aurois bien dû monsieur répondre plutost à la lettre que vous aués pris la peine de m'escrire au sujet de ma disputte auec m. de Mairan, mais vn malheureux procès qui ocupe les trois quarts de ma vie m'en a empêché dans le tems.
I'ay eü honte ensuite de reprendre les choses de si loin, et ie n'aurois peutêtre jamais surmonté cette mauuaise honte sans la nouuelle Edition des pièces de ma disputte que i'ay l'honeur de vous enuoier. Ie vous auouë que i'ay été rauie de trouuer cette ocasion de satisfaire le désir que i'ay de m'instruire par vos lumières. Ce désir ne soufre point de prescription, ainsi ie vais vous proposer et vous soumettre mes réponses aux argumens de votre lettre.
Vous comencés par me demander Monsieur de faire grâce à la partie du paradoxe de m. de Mairan qui a p͞r objet les espaces parcourus par vn corps qui remonte par la seule force de la pesanteur, et v͞s prenés Cette partie de son paralogisme sous votre protection aupoint que v͞s m'assurés, que vous aba[n]-donés volontiers les resorts non tendus que m. de Mairan prétend être la mesure de la force du corps, pouruu que ie v͞s abandone les espaces non parcourus par vn corps qui remonte, et que ie conuiene qu'ils doiuent mesurer sa force, mais si ie v͞s prouue que ces cas sont absolument les mêmes coment pourés vous défendre l'un et abandoner l'autre? Ne m'en croiés pas, mais croiés en m. de Mairan, lisés le n. 27 de son mémoire de 1728 et v͞s verés qu'il y considère les coups de la pesanteur sur montés par le corps qui remonte come vne suite de resorts égaux que ce corps rencontre sur sa routte, et qu'il ferme en remontant. Ie ne sais monsieur coment vous ferés après cela pour séparer ces deux cas, et i'attens que v͞s aiés bien voulu m'en instruire. Vous ajoutés ensuite qu'en mesurant les forces des corps par les simples vitesses vous rendrés raison sufisante de tout ce qui ariue dans le choc des corps à ressort, mais cependant dans de certains cas come celui que m. Neuton Examine à la dernière question de son optique, v͞s êtes obligé d'admettre vne production et vn anéantissement continuel de forces qui tient beaucoup du miracle. Votre Estimation par la simple vitesse ne peut s'acorder non plus avec vne Egale conseruation de forces dans l'uniuers, et ce n'est cependant pas vn petit embaras métaphisique.
Mais pour ne point sortir des considérations matématiques qui fournissent des objets plus précis, éxaminons d'abord ce principe que vous auancés come incontestable, que des pressions égales en tems égaux produissent des effets égaux, et par conséquent des forces égales. Ce sont les propres mots de votre lettre.
Prenons les deux suites de resorts semblables A et B. Ie conuiens auec vous que ces deux suites preseront Egalement, quoique le nombre des resorts qui les compose ne soit pas égal. Mais en conclurais je que la force de ces resorts est come leurs pressions? Voilà le vice radical, et le point où ie comencerois à me tromper si ie concluois ainsi, car suposant que ces deux resorts soient garnis chacun d'une pointe propre à entrer dans la tere glaise,
Ie viens enfin à votre argument du batteau ou de la table mouuante qu'on peut apeller l'Achille de Jurin, car il me semble que v͞s y mettés autant de confiance que Zenon dans sa tortuë. Voions s'il faudra un Gregoire de st Vincent pour le détruire.
Soit b la masse du batteau, n celle du corps pousé en auant par le ressort r, v la vitesse du batteau et celle que peut doner au corps n le resort r apuié contre vn point fixe du batteau; quelque soit la théorie que vous emploiés vous trouuerés
Vous saués sans doutte que m. de Mairan n'a pas jugé à propos de répondre à ma lettre du moins jusqu'à présent.
I'espère que vous aués reçu la réponse que i'ay fait à vn petit escrit que m. de Buffon me fit remettre l'année passée sans m'en nomer l'auteur. Ie n'ai su qu'il étoit de vous que par la lettre de m. Turner à m. de Voltaire. Ie remis Ma réponse à m. de Buffon 4 jours après qu'on m'eût remis l'escrit. Ce que ie dis ici pour vous faire voir que ie ne suis pas toujours aussi lente à répondre que ie l'ay été cette fois cy. Ie serois charmée de sauoir si vous aués été content de la façon dont i'ay répondu à ce petit escrit. J'espère que vous le serés de cette lettre, et que v͞s la regarderés come vne preuue de L'estime infinie auec laquelle i'ay l'honneur d'être Monsieur Votre très humble et très obéissante seruante
Breteuil du Chastellet
Si vous me faites réponse adressés ie v͞s prie votre lettre à Paris, grande rue du faubourg st Honoré.
à Cirey ce 30 mai 1744