1738-05-09, de Gabrielle Émilie Le Tonnelier de Breteuil, marquise Du Châtelet-Lomont à Pierre Louis Moreau de Maupertuis.

Vous v͞s repentirés peutêtre de m'auoir répondu, par la promtitude avec laquelle mes lettres se suiuent, mais je trouue dans Les vôtres des instructions qu'aucun liure ne peut me donner, et dans votre Comerce vne douceur et des grâces infinies.
Jugés si ie v͞s importunerai, omne tulit punctum qui miscuit vtile dulci. V͞s aués bien tort de croire que ce qui v͞s concerne personnellement n'est pas ce que ie v͞s demande auec le plus d'instance. Ie suis bien fâchée que vos contradictions continuent, ie me flatte qu'elles v͞s réüssiront come les tribulations aux Elus, ie voudrais que ce fût icy où v͞s trouuiés votre paradis, et si l'estime la plus véritable, la plus grande admiration, l'amitié la plus sincère, et le plus grand désir de v͞s plaire et de v͞s posséder peuuent v͞s fixer v͞s ne quitterés point Cirey. Ie serois bien fière si ie v͞s enleuois à Paris, et ce seroit bien alors que l'on deuroit m'enuier. I'espère que v͞s mettrés sur la porte de la cellule que v͞s choisirés icy hic meta laborum, et i'ose v͞s dire que v͞s ne trouuerés point de coin du monde qui soit plus rencogné que celuyci, et où l'on joüisse plus du recuëillement de la retraite et des douceurs de la société. J'espérois que votre lettre m'annonceroit votre départ, et ie suis affligée que v͞s ne me parliés point encore du jour. Tout le monde s'est empressé à m'annoncer cette agréable nouuelle, mr du Chastellet m'en paroit charmé, mais personne ne le peut désirer autant que moi. Mr de V. prétend qu'il en [a] autant d'impatience, mais quoique ie sois accoutumée à lui céder en tout, ie lui dispute assurément cet auantage. Il me prie de v͞s dire mil choses p͞r lui. Voilà enfin sa philosophie qui paroit. V͞s me ferés vn grand plaisir de me mander de quel œil on la regarde. P͞r v͞s i'espère que v͞s viendrés n͞s en dire votre avis v͞s même, et i'ose croire quelle v͞s plaira. Il n'entre pas dans des détails bien profons, mais ce titre d'élémens et la personne à qui il parle, ne le comportoient guères.

Il y a vn trait dans le comencem͞t sur Les marquises imaginaires qui né plaira pas à mr de Fontenelle ni à mr Algarotti. Il l'auoit ôté dans l'édition de France, ie ne sais coment il s'est glissé dans celle d'Hollande. Ie crois qu'il ne v͞s déplaira pas, car ie sais que v͞s n'aimés pas Les affiquets dont ces mrs surchargent la verité. On dit que le liure de mr Algarotti est intitulé le Neutonisme à la portée des dames. Quand ie l'ay vu son livre il n'i plaisantoit que sur la lumière, mais ie ne sais trop quelle bonne plaisanterie il aura pu trouver sur la raison inuerse du quarré des distances. Après son titre il n'i a peutêtre rien de si ridicule que sa dédicace, à vn home qui a toujours voulu tourner le sistème de l'attraction en ridicule. Ie crois quil vouloit être de l'académie. Mr de V. est très fâché que ses libraires d'Hollande, dans l'espérance d'un plus grand débit, ajent ajouté au titre de son livre, Elémens de la philosophie de Neuton mis à la portée de tout le monde. Ils ont fait vn carton p͞r cette belle Esquipée, car cela n'étoit point dans les premières feüilles que mr de V. raporta d'Hollande l'année passée. Au reste n͞s n'en auons point encore d'exemplaire icy.

Je vois (autant que je peux voir) qu'il est certain que la force ou l'effet de la force des cors est le produit de la masse par le carré de la vitesse, et que la quantité de la force d'un corps, et la quantité du mouuem͞t de ce corps sont deux choses très différentes. Cela étant accordé par ceux qui combatent les forces viues, ie ne vois pas trop ce qu'ils combatent, et i'ay bien peur que cela ne resemble aux moulins à vent et ie v͞s dirai en passant que i'ay remarqué dans le très long mémoire de mr de Mairan que sa conscience le trahissoit souvent et qu'on voyoit qu'il combatoit p͞r combatre. Mais ie vois qu'il y a plus de dificulté que ie ne croyois dans le détail, car ie v͞s prie de me dire, et mr Neuton l'a demandé auant moi, ce que deviendroit la force de deux corps durs qui se choqueroient dans le vide. Car alors il ne peut y auoir de dispersion de mouvem͞t entre leurs parties, ou bien encore les cors voisins. Ie sais qu'on ne connoît point jusqu'à présent de corps parfaitement dur, mais ce n'est pas ie crois vne démonstration qu'il ni en ait point, et ie ne sais même s'il n'est pas nécessaire d'en admettre dans la nature quoique n͞s n'ayons pas d'organes ni d'instrumens assés fins p͞r les discerner. Or dès qu'il peut Exister des corps parfaitement durs, et qu'il est même très vraisemblable que les premiers corps de la matière le sont, il est permis de considérer ce qui arriueroit à de tels corps qui se choqueroient dans le vide. Or certainement ils ne rejailliroient pas. Que deviendroit donc leur force? car il n'i a point là d'enfoncement, point de ressort prêt à rendre la force qui le tient tendu, au cors qui la lui a donnée. Votre idées de prendre métaphisiquement les effets p͞r les forces me paroit admirable, car ie ne sais si elle ne pouroit point fournir vne réponse à cette objection qui m'a toujours arrêtée, et qu'à mon gré mr de Bernoüilli a trop méprisée. Ie crois donc, s'il m'est permis d'auoir vn opinion sur cela, que la force de ces cors se consomeroit reëllement dans les efforts qu'ils feroient p͞r surmonter réciproquement leur impénétrabilité, et leur force d'inertie, et que cet effet qu'ils auroient produit l'un sur l'autre en surmontant la force que tout cors en mouvement a p͞r persévérer à se mouuoir, cet effet, dis je, représente métaphisiquement la force qui la produit et ce seroit bien alors que la métaphisique seroit contente. Ie v͞s croyois réconcilié auec elle depuis que v͞s aués décidé p͞r la loy d'attraction en raison inuerse du quarré des distances en faueur d'une raison métaphisique, mais ie vois bien que v͞s n'en voulés que lorsqu'elle justifie les loix Etablies par le créateur, et découuertes par Neuton. V͞s ne voulés point Eclairer ses profondeurs, v͞s aués cependant bien tort. Ie suis votre abé Trublet et ie v͞s demanderois volontiers come Pilate à Jesus, quid est veritas? Si v͞s ne me croyés point libre ie serai bien afligée, car ie me la croyois fermement, mais depuis votre lettre ie ne sais plus qu'en penser. I'ay envie de faire vn moment le conciliateur come mr de Mairan, et de dire, que dieu peut auoir établi des lois de mouuement p͞r le choq des corps inanimés par lesquelles, ils conseruent, ou comuniquent, ou consomment dans des effets, la force qu'on leur imprime, mais que cela n'enpêche point qu'il ne réside dans les êtres animés vn pouuoir soy mouuant, qui est vn don du créateur come l'intelligence, la vie &cc. Car si je suis libre, il faut absolument que ie puisse comencer le mouuement, et si ma liberté Etoit prouuée il faudroit bien conuenir que ma volonté produit de la force quoique le quomodo me soit caché. La création, qu'il faut bien admetre quand on admet vn dieu n'est elle pas dans ce cas là, et n'i a t'il pas mille choses qu'il n͞s sera toujours égalem͞t impossible de nier, et de comprendre?

Ie suis vne vraie bauarde, pardon, mais encore vn mot. Cecy c'est autre chose. Ie me suis hazardée à lire votre mémoire donné en 1734 sur les diférentes loix d'attraction et ie v͞s auoüe ingénuement que ie ne sais pas assés d'algèbre p͞r auoir peu v͞s suiure partout. Mais permettés moi de v͞s dire que ie trouue ce qui est escrit en françois un peu obscur, car premièrement v͞s ne dites point (en françois) pourquoi dans vne attraction en raison directe de la simple distance, qui a d'ailleurs tant d'auantages, n'auroit pas celui de l'acord de la même loy dans les parties et dans le tout; v͞s ne dites point non plus pourquoi la raison inuerse du caré des distances a cet avantage, et v͞s allés voir que v͞s aués bien tort, car il y a bien des ignorans come moi, et chacun l'entendra à sa manière, moi, p. E., voicy come ie crois l'entendre. Vn corpuscule placé sur l'axe prolongé d'une surface sphérique n'est attiré que par la zone circulaire de cette surface comprise entre les 2 lignes droites tirées du corpuscule à cette surface. Or les superficies sphériques sont come le quarré de leur diamètre, et ce corpuscule étant attiré en raison directe des particules de matière qui agissent sur lui et en raison renuersée du quarré de sa distance à ce centre du corps qui l'atire, il est attiré par cette surface sphérique en raison directe du quaré du diamètre de la sphère et en raison renuersée du quarré de sa distance au centre de cette sphère; et la loy d'attraction en raison du quarré des distances se retrouve, mais le raport de la surface d'une sphère à son diamètre étant inuariable, il n'i a que dans la loy d'attraction en raison du quaré des distances que les sphères pussent attirer ces corps placés audehors selon la même loy que les corps dont elles sont formées suiuent. Ce qui m'a porté à l'entendre ainsi, c'est la démonstration par laquelle v͞s démontrés que dans cette même loy vn corpuscule placé dans vn point quelconque de la concavité d'une sphère creuse n'éprouueroit aucune attraction de cette superficie concaue. I'ay compris aussi, du moins à peu près, celle qui prouue que toutes les parties de la surface sphérique qui agissent sur ce corpuscule n'ont qu'un effet comun selon l'axe de la sphère parce que leur direction propre est mutuellement contrebalancée l'une par l'autre. Mais ie v͞s auoüe que si ce que ie viens de v͞s avouer en tremblant n'est pas la raison de préférence p͞r la loy d'attraction que suit la nature, ie n'i entens rien. V͞s aués commenté Neuton, ie v͞s suplie de v͞s commenter en ma faueur. Ie v͞s assure que v͞s m'aués donné bien de la peine. Jamais on n'a tant maudit et admiré quelqu'un, sed tantum dic verbo et sanabitur anima mea, ab ignorantia. Ie passe come vne grande personne de la superficie sphérique à la sphère solide, mais ce n'est pas sans quelque scrupule, parce que la solidité est le cube du diamètre, et qu'il me faut le carré. Ie conçois come ie peux vne infinité de superficies sphériques concentriques, et i'en forme ma sphère. Pardon p͞r la derniere fois. Ie v͞s désire, v͞s admire, et v͞s demande grâce p͞r ce volume.